
Il était une fois, une petite fille qui habitait une jolie maison taillée dans le roc. Tout autour sétendaient des prés à lherbe drue et un peu plus loin se dressait une immense forêt pleine de mystères.
Elle navait pas toujours habité là. Elle venait dun lointain pays de soleil, où lhiver enneigé ne saventure jamais. Elle avait été très malade et ne se souvenait de rien concernant sa vie passée. Elle restait persuadée quelle était née depuis quelques mois seulement, dans cette charmante demeure.
Elle restait des heures, assise devant la grande cheminée à contempler les images fantastiques quelle voyait surgir des flammes. Cest grâce à ces dernières, dailleurs, quelle avait su quelle venait dun pays aux deux saisons.
Les flammes lui avaient appris aussi, quelle avait toujours été une petite fille. Tous les autres enfants grandissaient autour delle, sans quelle pût en faire de même. Elle navait ni parents, ni amis, hormis un petit garçon qui venait souvent rêver avec elle. La maison lui appartenait et il la prêtait à la fillette. À vrai dire, il avait été en quelque sorte obligé de laccueillir, car il la vit se réveiller devant sa porte, par un beau matin clair. Elle frissonnait, il lemmena se réchauffer devant la cheminée. Depuis, il ne lui avait pas dit de sen aller.
Les mois se succédaient et il ne se passait pas de jour sans que son petit ami ne vînt la voir. Ils avaient inventé toutes sortes de jeux. Celui du mot cadeau par exemple. Cétait simple. Ils sasseyaient devant la cheminée. Il y régnait en permanence une douce chaleur, car les branches mortes de la forêt voisine, préféraient venir y finir leurs jours, plutôt que de pourrir dans le froid et lhumidité, rongées de vers.
Ils étaient donc assis en tailleur face-à-face, devant le feu et prononçaient à tour de rôle un mot quils désiraient donner à lautre. Ce dernier le goûtait, puis un suivant jusquà ce quil ait trouvé exactement le goût quil désirait. Ils recherchaient ainsi une infinité de saveurs dans une multitude de mots. Ils nétaient jamais rassasiés.
Mais ils préféraient par-dessus tout le jeu du voyage. Ils sinstallaient devant la cheminée et plaçaient entre eux une clochette, comme celle que portent les vaches des Pyrénées. Ils se tenaient les mains. Cétait important afin quils ne se perdent pas en chemin. Ils fermaient les yeux et au bout dun temps plus ou moins long, la clochette se mettait à carillonner, comme si cétait Pâques. Dès quelle se taisait, ils ouvraient les yeux et se retrouvaient dans un pays ou un autre, différend à chaque fois.
Cest ainsi quils se rendirent sur les vieux remparts de Saint-Malo, errèrent des heures dans Londres embrumée à la recherche dun hôtel, rêvèrent aux pieds de ruines en Espagne
Parfois, ils décidaient de voyager séparément et à tour de rôle. Il se retrouvait inlassablement à bord dun voilier fendant une mer immense, et elle errait sans limites sur les plages dorées dune île déserte.
Les jours avaient fui, lautomne touchait presque à sa fin et elle pensait à Noël à cause des flammes qui ne faisaient quen parler depuis quelque temps.
Le feu lui racontait à volonté ses Noëls passés et les Noëls présents du monde entier. Il suffisait quelle fixe les flammes pendant cinq secondes, pour que la magie opère. Alors, apparaissaient des rues illuminées où une foule euphorique dévalisait des magasins aux vitrines ruisselantes de lumière. La solitude avait signé la trêve de Noël : on ne voyait partout que des couples enlacés et des familles heureuses.
La fillette navait pas vu son ami depuis quelque temps, quand un soir, il vint à nouveau rêver auprès delle. Il lui annonça quil serait absent pour Noël, car il était invité chez des copains.
La petite avait entendu, mais pas vraiment réalisé, le sens des propos. Seulement, le lendemain, des images glacées surgirent des flammes brûlantes. Aucun son ne traversait lépais brouillard recouvrant les rues soudain assombries et désertes. Le cur serré, la fillette nosa plus se tourner vers la cheminée, ni regarder les flammes. Elle ne supportait pas lidée dêtre toute seule pour Noël.
Elle quitta aussitôt la maisonnette et se dirigea vers la forêt pleine de mystères, où croissait la fougère rousse. Elle se retrouva sans lavoir consciemment désiré, devant lécurie de la jument « Acajou ». Cette coquine rendait enragé plus dun, car une fois sellée et montée, elle refusait à la manière dune ânesse bornée, de faire le moindre pas.
Dès leur première rencontre qui remontait à quelque temps, la jument Acajou avait longuement regardé la petite fille, de ses immenses yeux humides et tellement expressifs, avant de frotter vigoureusement le plat de son museau contre le pull marin.
Ce jour-là, la fillette lui tapotait tendrement la joue, quand elle l ‘entendit parler à voix basse.
– Quest-ce qui te rend si triste une veille de Noël ? demanda la jument.
– Mais tu parles ! sexclama la petite fille.
– Ce nest pas la première fois, mais tu ne mentendais pas jusquici, fascinée par la magie des flammes et par la présence de ton petit copain aussi. Mais tu nas pas répondu à ma question, insista Acajou.
– Sil te plaît, emmène-moi dans la forêt pleine de mystères. Elle est si belle aujourdhui, demanda la fillette, ignorant la question de la jument.
Sans attendre de réponse, elle roula une botte de paille à côté de la coquine et grimpa sur la selle.
La jument redressa fièrement la tête, balaya lair de sa belle queue et avança lair hautain, sans que sa cavalière neût à lui donner le plus petit ordre.
Elle prit la direction dune clairière où dormait un étang. Une fois arrivée, elle fit la folle dans lherbe humide et tendre, pendant que la fillette se dirigeait vers le miroir assoupi.
Elle sapprocha du bord et se pencha au-dessus de londe, pour suivre des yeux une grenouille qui y avait fait un plongeon. Elle vit bientôt limage tremblotante dune petite fille qui lui souriait avec tendresse. Quand la surface de leau redevint lisse et calme, elle saperçut que la créature de leau lui ressemblait comme deux gouttes deau. Elle tendit la main. Sa jumelle la prit dans la sienne et sortit du miroir liquide. Puis, elles se laissèrent tomber sur le sol tendre, sembrassant à pleines joues, les bras tressant des colliers de caresses. Elles se promenèrent longuement riant et pleurant, se racontant des histoires de gouffres sans fonds et de nuits aux mille et un soleils. Des histoires à dormir debout, les yeux grands ouverts.
– Je suis sûre que tu entends les gens penser, dit la jumelle de létang.
– Tout à fait. Souvent je les écoute mentir dans leur tête. Leur bouche sourit et dit le contraire acquiesça la fillette.
– Je sais aussi que tu voyages dans le futur.
– Cest vrai et aussi souvent que je le désire. Jentends ce que lon ne dit pas, je perçois ce que lon ne voit pas. Je voyage à travers lespace et le temps, sans bouger du lieu où je me trouve. Je peux communiquer avec certaines plantes et certains animaux. Mais le plus souvent, je menferme dans une sorte de bulle invisible, où jamais personne ne matteint.
La nuit tombait. La petite fille avait perdu sa tristesse, car elle savait désormais, quelle ne serait plus jamais seule. Il lui suffirait de le désirer très fort, pour que son amie de létang vienne la rejoindre en tout lieu et à toute heure. En réalité, sa jumelle avait toujours existé, mais elle nen avait pris conscience quaujourdhui, au moment où elle sétait regardée dans le miroir liquide.
La jument Acajou avait regagné ses pénates depuis belle lurette. Depuis que le carillon de lécurie, annonçant le souper, avait retenti jusque dans son estomac.
La fillette et son double sembrassèrent tendrement, avant de se séparer momentanément. La première regarda son amie grimper tout en haut dun pin, où lappelait un vieil écureuil qui détestait jouer seul à casse-noisettes. Puis elle prit dun cur léger, le chemin du retour inondé de la clarté dune lune généreuse. Elle réchauffa dans sa poche un petit champignon solitaire qui frissonnait, et rencontra une vieille chouette qui prenait lair sur le pas de son arbre. Elle haussa les épaules tout en levant les yeux au ciel quand elle vit la fillette sauter à cloche-pied dans le sentier couvert dun tapis de mousse. Cette dernière ne put sempêcher de sourire, car loiseau avait les mimiques de son aïeule quand elle la regardait autrefois, rentrer de lécole en zigzaguant du trottoir sur la chaussée et vice versa. Cétaient les flammes qui lui avaient raconté sa mère-grand de cette façon.
La petite fille se retrouva en un rien de temps devant la porte de la maisonnette et faillit se cogner à une vieille grosse branche qui se traînait péniblement vers sa dernière chaleur. Elle laida à franchir les quelques mètres qui la séparaient de la grande cheminée. La bûche à bout de souffle, ne tarda pas à ronfler de plaisir.
La fillette sinstalla sans perdre une minute, devant lâtre et osa regarder les flammes de tous ses yeux, ceux du dehors et celui du dedans. Celui qui entend mentir et ceux qui perçoivent les infimes nuances de larc-en-ciel. Aussitôt, défilèrent à nouveau, dinnombrables vitrines illuminées et bondées où sagglutinaient des gens heureux. Ce soir-là, la petite fille sendormit profondément, la tête dans les étoiles.
Le lendemain, en fin daprès-midi, assise à sa place préférée, elle posa la cloche devant elle et ferma les yeux très fort. Quelques secondes plus tard, le tintement résonna plus clair, plus joyeux et plus insistant que dhabitude. Elle ouvrit les paupières et se retrouva, étonnée, dans une pièce quelle ne connaissait pas.
Elle courut à la fenêtre et vit une rue brillamment éclairée, enveloppée de légères écharpes de brume. Des gens emmitouflés dans de chauds manteaux, se pressaient tout en échangeant des souhaits : « Merry Christmas ! »
Elle se retourna et fit des yeux, le tour de la pièce. Une fausse peau de zèbre toute moelleuse ainsi que des coussins tendres et soyeux, couleur de bonbons acidulés, égayaient un lourd tapis dorient. La fillette sengouffra dans un vaste manteau suspendu derrière la porte dentrée. Elle se précipita dans la rue pour aller faire plein dachats, en compagnie de sa petite amie de létang, venue la rejoindre selon son vu.
Elles rentrèrent quelques instants plus tard, joyeuses et volubiles, croulant sous le poids de nombreux paquets.
Pendant que son double grignotait des chocolats fourrés et des marrons glacés, assis en tailleur sur la fausse fourrure, la petite saffaira.
Elle disposa dodorantes roses rouges dans un grand vase noir quelle plaça sur un coin du tapis.
Elle installa larbre de Noël au milieu de la pièce et se délecta un long moment à le décorer. Elle noublia pas dy accrocher de vrais petits glaçons et de le saupoudrer de vrai givre, qui avaient accepté de ne pas fondre lespace dune nuit. Elle pensa aussi à accrocher létoile étincelante au sommet du sapin et disposa les cadeaux à son pied.
Ensuite, vint le moment de construire la crèche. Elle nétait contaminée par aucune religion, mais la naissance dun bébé ne pouvait la laisser indifférente. Elle posa la boîte de carton qui avait contenu les guirlandes, contre le mur. Tout autour elle disposa du papier demballage froissé et modela une sorte de rocher creusé dune grotte. Elle piqua des petites branches de sapin dans le « roc »pour simuler la végétation et plaça les personnages légendaires ; les bergers et les moutons en haut du rocher, les Rois Mages à lentrée de la grotte, le papa et la maman encadrant le petit. Elle pouvait le poser dès maintenant sur sa couche, faite de paille demballage, car il était minuit. Elle accrocha enfin létoile tout en haut, pour que dautres bergers puissent eux aussi repérer lendroit et venir admirer le nouveau-né.
La fillette regardait ravie, son ouvrage, quand elle vit le bébé frissonner. Elle resta indécise une seconde, puis saperçut quelle avait oublié de placer lâne et le buf. Elle répara aussitôt son oubli et bientôt, réchauffé par le souffle tiède des deux animaux, le tout-petit bâilla, ferma les paupières et sendormit.
La petite fille se releva. Elle ressentit un vrai bonheur à contempler larbre si joliment paré, les roses qui éclaboussaient le mur de taches éclatantes, la crèche où somnolait le petit Noël et enfin, son amie endormie dans la fourrure.
Elle sarracha à sa contemplation, enfila une nouvelle fois son manteau et ses bottes, ouvrit et referma sans bruit la porte dentrée et se dirigea vers la cathédrale toute proche. Léglise semblait sur le point de craquer sous le poids de la foule, des lumières et des chants sacrés. La fillette éprouva un véritable enchantement à écouter les orgues puissantes qui faisaient vibrer les vieilles pierres.
Faisant fi du temps et de lespace, elle se retrouva un moment, au cur des étoiles, évoluant dans la musique du cosmos, convaincue quelle ne serait plus jamais seule.