Philippe Petit
[ On est toujours le con de quelqu’un
Le temps ne fait rien à l’affaire : les imbéciles d’hier sont les crétins d’aujourd’hui. Pour autant, la bêtise est-elle immuable? Pas sûr. Dans «La Sottise? Vingt-huit siècles qu’on en parle», Lucien Jerphagnon en dresse un florilège.
Cest une étrange entreprise que décrire un livre traitant de la sottise. « Inséparable de la nature humaine, la bêtise est avec lhomme constamment et partout ; dans la pénombre des chambres à coucher comme sur les estrades illuminés de lHistoire », écrivait Milan Kundera dans « Le Rideau » (2005). Si la bêtise est partout et simmisce dans le mitan du lit, si elle se diffuse et se propage comme lair que nous respirons, comment en faire un sujet détude ? Impossible, répond Lucien Jerphagnon dans un petit livre réjouissant qui vient de paraître « La Sottise ? » sous-titré « Vingt-huit siècles quon en parle ». De la bêtise, en effet, il nest guère possible den dégager lessence. Les Anciens, Pascal, Flaubert, Mauriac dénonçaient déjà la sottise de leur temps ; Saint Augustin se plaignait de limmense foule des imbéciles et le philosophe Vladimir Jankélévitch samusait de « cette vaste République des sots dont Trissotin est le citoyen dhonneur et qui traverse les âges ». Pour échapper à ce dilemme, lauteur d« Au bonheur des Sages » (2007) a choisi de nous divertir, il a opté pour le florilège. Il existe selon lui une sottise qui traîne dans lair du temps à laquelle on néchappe guère, cette « sottise atmosphérique » se retrouve à toutes les époques, et gare à celui ou celle qui prend à son égard une position de surplomb : « on est toujours le con de quelquun », ironise le vieux professeur. Albert Thibaudet en faisait la remarque à propos de Homais, le pharmacien au rationalisme borné. «Il nest pas si bête, disait-il, celui qui a lavenir devant lui». Les sots ont lavantage de ne pas douter et contrairement à ceux qui sen moquent, ils ne cherchent pas à se rassurer en cantonnant la bêtise chez les autres. La bêtise est un pis allé. Cest pourquoi elle est indéfinissable. Ne peut-on pas ALORS établir un parallèle entre la bêtise et le règne de lopinion ? On le peut, mais cela ne résout pas le problème. « Lopinion apparaît même, sinon comme le point oméga de la sottise, du moins comme le refuge des gens incapables de penser par eux-mêmes, comme on se plaît à le dire sans trop approfondir », souligne M. Jerphagnon dans son épilogue.
Quest-ce que lopinion ? Prenons un exemple. Dans une lettre de jeunesse, Gustave Flaubert écrivait à Alfred son copain de collège : « Tu as raison de dire que le jour de lan est bête ». Ne pouvant dissiper son ennui, il se tourne vers son entourage quil trouve médiocre, forcément médiocre. On retrouve ici lidée dune bêtise sans avenir, le mal du siècle, la détestation de la province, et plus tard de lépoque, donc de lopinion commune. Mais la bêtise qui est la chose du monde la mieux partagée est bien autre chose que cette horreur des sots et de leur milieu. Elle est le rapport de la subjectivité à ce qui ne peut prendre forme. Elle est une forme de stupeur, née de la pensée et qui retourne à elle. Elle est sans fond, comme la pensée qui se cogne contre le mur de limpensé. Un chien peut saffoler de comprendre quil ne comprend rien à ce qui se passe autour de lui. Cest une des raisons pour laquelle il remue la queue. Lexercice visiblement ne comble pas les humains.
La bêtise serait-elle alors ce qui nous reste de conscience animale du monde ? Lidée est séduisante. Dautant que lopaque béatitude des imbéciles nous y ramène. Mais là encore, il faudrait pouvoir opposer à cet universel de lanimalité une sorte de pensée pure ou un pur esprit à la manière de Monsieur Teste ou un esprit qui aurait le pouvoir dune machine à calculer tel Watson dans Sherlock Holmes. On en ne finirait pas de vouloir atteindre une essence de la pensée débarrassée à jamais de ce puits sans fond que serait la bêtise. Limpasse saute aux yeux. Devant le caractère polymorphe à linfini de la bêtise Monsieur Jerphangnon est prudent, il se fait discret.
Reprenant un mot de Mauriac, disant que « moins les gens ont didées à exprimer, plus ils parlent fort », jai envie de vous murmurer à loreille que nul ne se défausse absolument de la bêtise. Ceci expliquerait peut-être que cela fait vingt-huit siècles quon en parle ! ]
Rédigé par Philippe Petit – Marianne le Lundi 11 Octobre 2010
Retrouvez la chronique de Philippe Petit sur France Culture
Chronique du 11/10/2010
6 heures 41/ France Culture
Dans lémission : Pas la peine de crier
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« moins les gens ont didées à exprimer, plus ils parlent fort »
Sur certains blogs, on rencontre même des « reine » et « roi »…autoproclamés, ( Avec une assurance déconcertante ).
Dignes reflets… »de ce puits sans fond que serait la bêtise »?
des noms des noms !!! pour les reines et rois des blogs !
et le con n’est il pas le sexe de la femme ???
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» le con n’est il pas le sexe de la femme ??? »
Le con de…Quelqu’UNE, Alors ?
« des noms des noms !!! pour les reineS et roiS des blogs ! »
Je vois que tu as ajouté un S à reine et roi : tu es bien plus plus
renseignée que moi!
C’est donc à toi de nous donner des noms !
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Faut-il préfèrer sa propre bêtise, unique en son genre et personnelle à la bêtise du temps ? La bêtise sur mesure à la grande série ?
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Hahaha !!!
Choix…Cornélien !
Pourrais-je savoir …Le tien? 😉
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En général, je préfère la mienne mais je m’en méfie beaucoup aussi et je tente de limiter mes « conclusions » ( conclusions temporaires car la bêtise c’est de conclure disait Flaubert je crois) aux domaines que j’ai expérimenté et connu.
L’expérimentation c’est encore le moins mauvais moyen que l’on ait trouvé pour limiter la connerie à condition de commencer à tester sur soi plutôt que sur les autres.
Finalement, le plus dangereux c’est la connerie expansive, celle qui veut se faire connaître et gagner plein d’adeptes façon sermon ou remontrance ou façon amicale et conviviale, celle qui se coalise et s’agglutine en quelque sorte pour faire un cancer ( et non un concert) de connerie et se termine parfois en connerie planétaire et cosmique.
Au contraire, une honnête connerie, pleine de retenue et de méfiance, discréte et bien élevée, provoquant des dégâts limités et circonscrits dans le temps et l’espace, est ce qu’on devrait promouvoir.
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» Au contraire, une honnête connerie, pleine de retenue et de méfiance, discrète et bien élevée, provoquant des dégâts limités et circonscrits dans le temps et l’espace, est ce qu’on devrait promouvoir. »
J’adhère 😉
Et je compte sur toi… pour la promouvoir !
PS- Je ne rencontre que l’autre: le « cancer »…
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