Femmes de dictateur…

« La foule, comme les femmes, est faite pour être violée », écrivait Mussolini.
—————————————————————————————
[Femmes de dictateur, pour le meilleur et pour le pire
Par Emmanuel Hecht.

Clara, Nadia, Jiang Qing…, épouses ou concubines, elles ont partagé la vie et la couche de Mussolini, Staline, Mao… Elles ont été triomphantes et sacrifiées, rappelle Diane Ducret dans Femmes de dictateur.

« La foule, comme les femmes, est faite pour être violée », écrivait Mussolini, toujours volontaire pour soulever le peuple et les jupons. La tyrannie, qui corrompt les valeurs et martyrise les peuples, détraque aussi les sens. Le pouvoir est un aimant, le pouvoir absolu, un aphrodisiaque. Les histoires d’amour avec un tyran ont beau débuter comme des bluettes, elles se terminent au mieux en vaudeville, le plus souvent en tragédie. Diane Ducret en administre la preuve dans sa galerie de Femmes de dictateur, portraits brillants des compagnes de route de mégalomanes du xxe siècle nommés Lénine, Staline, Hitler, Mao… Les petites fiancées des despotes rêvaient de passer à la postérité, elles ont fini dans les poubelles de l’Histoire.

Saintes ou gourgandines, elles ont saccagé leur vie, à l’image de Clara Petacci, violée, battue et pendue par les pieds par des partisans italiens à la fin de la guerre. La fille du médecin personnel de Pie XI avait eu le malheur de croiser, treize ans plus tôt, sur la route d’Ostie une Alfa Romeo décapotable. Le conducteur dissimulé derrière de grosses lunettes de soleil s’appelait Benito Mussolini et la « povera » ignorait tout des affres de la Duce Vita. Le maître de l’Italie fasciste avait en effet gros appétit. Il n’était pas du genre bégueule, plutôt gourmand que gourmet. Paysannes ou bourgeoises, femmes de tête ou têtes en l’air, matrones ou filles enfants, elles passaient toutes par sa couche. Le Romagnol était large d’esprit. Jeune, il penchait pour les cérébrales : Angelica Balabanoff, bourgeoise ukrainienne, l’initie à la révolution et, surtout, Margherita Sarfatti, grande bourgeoise vénitienne racée, s’impose en dircom et stratège. C’est elle qui convaincra un Benito indécis et prêt à se réfugier chez les Helvètes de lancer la marche sur Rome, étape décisive de la prise du pouvoir. Au fil des ans, l’aventurier de l’amour, abonné aux ruptures violentes, se fera popote. Les soucis, sans doute : la guerre en Ethiopie, puis en Grèce et en Albanie… Il n’empêche. L’ancien socialiste-révolutionnaire supporta mal la tyrannie domestique de Rachele, l’ex-jeune serveuse du bar de son père, devenue épouse et mère de ses enfants : un statut en or dans un régime célébrant la famille. Faute de rompre, le Duce s’égaiera en compagnie de jeunes maîtresses. Dont Clara.

Staline acculera son épouse au suicide

Cherchez la femme. On rêverait d’affiner le portrait d’un tyran, d’expliquer la nature d’un régime politique à partir de la personnalité et des atours – poitrine généreuse pour le Duce, jambes longues pour le Führer – des (mal) heureuses élues. L’exercice est périlleux, mais il est parfois probant. Ainsi, la sauvagerie du Staline privé n’étonnera personne. Le maître du Kremlin acculera au suicide Nadia Allilouïeva, son épouse – qu’il sauva de la noyade à 6 ans et viola dans un train à 18 ans… – après l’avoir, dans un état d’ébriété avancée, agonie d’injures devant toute la nomenklatura. Dans la foulée, il fera déporter au goulag sa belle-soeur, après qu’elle a refusé ses avances. Il terminera ses jours avec une gouvernante rustre et silencieuse : c’est elle qui servit le repas aux invités de Yalta, Churchill et Roosevelt. Dans le même registre paraît évidente la propension de Hitler – Alfi pour les intimes – à semer la mort parmi les femmes qu’il aime – sa nièce Geli, 23 ans – et celles qui l’aiment, même secrètement : la terrible Magdalena Goebbels, l’épouse du ministre de la Propagande du Reich, présente jusqu’à la fin dans le bunker de Berlin. Reste que, comme pour les couples ordinaires, certaines associations sont étranges, voire inexplicables. Pourquoi, Lénine, plutôt séduisant avec ses yeux bridés de Tatar, s’est-il entiché de Nadejda Kroupskaïa – Nadia – une future épouse affublée d’un « physique de hareng », selon la mère de Vladimir Ilitch, il est vrai jalouse et peu charitable ? Mystère – et vertiges – de l’amour.

Lénine s’entiche de Nadia, au « physique de hareng »
Diane Ducret ne tire d’ailleurs aucune conclusion, politique ou psychologique, elle trousse (sic) de jolies histoires et « tend un miroir aux femmes », pour démontrer, noir sur blanc, la responsabilité des égéries, maîtresses, épouses de dictateurs dans les drames de l’Histoire. Si les unes pèchent par indifférence (Eva Braun, la compagne de Hitler), d’autres, politiquement engagées, sont directement impliquées. C’est le cas de Jiang Qing, l’une des nombreuses « madame Mao », ancienne starlette renconvertie en mère maquerelle pour apaiser la libido du Grand Timonier et en chasseuse de sorcières pendant la Révolution culturelle ; d’Elena Ceausescu, grande prêtresse du régime policier roumain, etc. Entre secrets d’alcôve et histoire politique, l’auteure a trouvé sa voie. Certains épisodes plus ou moins connus, mais souvent de manière partielle – les frasques de Mussolini et de Staline – acquièrent plus de relief dans cet ensemble.

D’autres sont des révélations : par exemple, la vie sentimentale encombrée d’Antonio de Oliveira Salazar. Le maître du Portugal entre 1933 et 1968 avait un slogan pour sa politique isolationniste : « orgueilleusement seuls ». D’évidence, il ne se l’appliquait pas. L’ancien séminariste, jadis troublé par la belle Felismina, officiellement célibataire, ascétique et saturnien, fut un homme couvert de femmes. Jouant la discrétion jusqu’à l’effacement – comportement rarissime chez les dictateurs qui sont enclins à jeter leur ego démesuré à la face du monde – il affirmait que les « bonnes ménagères » ont « beaucoup à faire dans leur maison, ne fût-ce que dans l’apprêt du repas et le soin des vêtements ». Cela ne l’empêcha pas de tomber follement amoureux, en 1951, d’une jeune femme libre : une journaliste française nommée Christine Garnier. Mais le Doutor n’en démordra pas : « On peut faire de la politique avec le coeur, mais on ne peut gouverner qu’avec la tête. » ]
Par Emmanuel Hecht
Source L’Express.fr publié le 27/01/2011

***************************************************************************************

Femme amoureuse n’a plus de cervelle!