» Hautcourant est allé à la rencontre de Lucie Goderniaux, diplômée en anthropologie de la communication, et auteure dun mémoire intitulé « La violence conjugale, un apprentissage trans-générationnel ? » qui lui a valu le premier Prix de lUniversité des Femmes en 2009.
… Hautcourant a pris particulièrement à cur son entretien avec Lucie Goderniaux, jeune antropologue belge, à propos dune pratique sociale et sexuée qui cause rien quen France, chaque année, plus dune centaine de décès (156 en 2008).
Comment avez-vous été amenée à vous interroger sur un phénomène de transmission des violences conjugales à travers les générations ?
Au départ, jai été sensibilisée au phénomène par mon entourage et bien sûr, par ma condition de femme. Je suis partie du postulat suivant : tout système de violence est un langage de domination. La violence conjugale est le langage de la domination masculine. Une domination inscrite et véhiculée par et dans lensemble de la société à travers des représentations stéréotypées.
Je me suis donc intéressée à la transmission entre femmes de différentes générations de ce qui pourrait sapparenter à un apprentissage de la domination masculine et, par conséquent, de la violence conjugale. Autrement dit, jai cherché à déterminer comment on apprend, non pas la violence aux hommes, mais lacceptation ou lincapacité de réaction à cette même violence, aux femmes.
Quel est la problématique de votre mémoire ?
Les femmes transmettent-elles, entre elles et de générations en générations, des schèmes de pensées et dactions qui dune manière ou dune autre, représentent un apprentissage de la violence conjugale ?
À partir de cette problématique, comment avez-vous mené vos recherches ?
Jai débuté mes recherches par un stage dobservation au refuge du Collectif contre les violences familiales et lexclusion (CVFE) à Liège. La particularité de cette structure étant de permettre aux femmes de venir avec leurs enfants, ce fut lidéal pour étudier sur le terrain, et la transmission déléments qui corroborent la domination masculine. Jai recueilli ainsi des témoignages de plusieurs points de vues : victimes, enfants, professionnels du métier (ndlr, travailleurs sociaux)
Quelles conclusions en tirez vous ?
Cest par la transmission déléments qui corroborent la domination masculine que lon permet à la violence conjugale de se produire et reproduire. A partir du moment où lon intègre la logique de domination masculine, et on lintègre tous, on est vulnérable à la violence conjugale, que ce soit en tant quacteur, spectateur ou transmetteur.
Cette transmission a non seulement lieu entre hommes, mais aussi entre femmes, de manière quasi invisible et inconsciente. Voilà lune des forces premières de la violence conjugale : son fondement.
Linfériorité de la femme par rapport à lhomme, est si profondément ancrée dans linconscient collectif quelle passe pour naturelle.
Quels remèdes donc pour éviter cette transmission et empêcher les violences conjugales de se produire et reproduire ?
Dune façon générale, il faut prendre conscience du fait que nous sommes remplis de stéréotypes et de préjugés. Ce sont toutes ces représentations qui permettent aux violences conjugales de se produire et se reproduire en quasi-impunité.
Mon mémoire met en exergue la manière dont les femmes elles-mêmes participent, inconsciemment, à leur propre domination. Je pense donc quil est primordial que les femmes entreprennent un véritable travail dintrospection et de remise en question afin de se libérer au maximum des stéréotypes dont elles sont à la fois victimes et messagères.
Comment les travailleurs sociaux doivent-ils traiter ce problème ?
Il faut quils sintéressent à la violence conjugale en tant que phénomène social et non plus comme une pathologie individuelle. On se focalise sur la psychologie alors quil sagit dune pratique sociale et sexuée. Non pas que la psychologie soit inapte à étudier la problématique mais simplement insuffisante, lapproche idéale étant interdisciplinaire.
En outre, je pense que les institutions mêmes qui sont chargées de prendre ce problème à bras le corps et dy mettre un terme, doivent elles aussi se remettre en question à de multiples niveaux et tenter dapprocher cette réalité à travers les humains qui la composent et non plus seulement à travers les schémas et autres concepts réducteurs dont ils disposent. Ces notions aident, il est vrai, bien des professionnels du milieu mais empêchent souvent certaines victimes dêtre prises en compte en raison de la non-adéquation de leur vécu des violences conjugales avec la théorie.
Votre diplôme en poche, quavez-vous fait ?
Joccupe actuellement le poste de maître-assistante en sociologie et politique de léducation à la Haute École Albert Jacquard de Namur tout en intervenant de diverses manières dans linformation et la prévention des violences conjugales (conférences, colloques, activités, articles). »
Propos recueillis par Emeline Devauchelle
Source Hautcourant.
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» Autrement dit, jai cherché à déterminer comment on apprend, non pas la violence aux hommes, mais lacceptation ou lincapacité de réaction à cette même violence, aux femmes. »
» Linfériorité de la femme par rapport à lhomme, est si profondément ancrée dans linconscient collectif quelle passe pour naturelle « .
» Mon mémoire met en exergue la manière dont les femmes elles-mêmes participent, inconsciemment, à leur propre domination. Je pense donc quil est primordial que les femmes entreprennent un véritable travail dintrospection et de remise en question afin de se libérer au maximum des stéréotypes dont elles sont à la fois victimes et messagères ».
» On se focalise sur la psychologie alors quil sagit dune pratique sociale et sexuée ».