Par Paul Desalmand
« Des sénateurs pas exemplaires –
Le Palais du Luxembourg, qui abrite le Sénat, est une maison de retraite pour politiciens au rancart. Que cette maison de retraite coûte cher, cela nest pas très grave. Entre 300 et 400 millions deuros par an : une goutte deau dans locéan de la dette française qui se monte à 1 100 milliards deuros et ne cesse daugmenter. À y regarder de près, ça doit faire même un peu plus, mais annuellement une trentaine deuros par contribuable, cest supportable.
Un fait beaucoup plus gênant réside en ce que ces hommes politiques, qui devraient donner lexemple, ne le font pas. Nous sommes dans lunivers de la gabegie, des privilèges, dune moralité parfois douteuse. Le propos ne concerne pas tous les sénateurs, mais lattitude de la majorité dentre eux contribue à forger une image de marque déplorable. Laquelle suscite le mépris de lhomme de la rue pour les hommes politiques, pour le système parlementaire et au bout du compte pour la démocratie tout court.
La force dun peuple tient dans la « vertu » chère à Montesquieu, ce que nous traduisons aujourdhui par « sens civique ». Et dabord dans celle des hommes et des femmes qui la dirigent. Un trop grand nombre de sénateurs paraissent en être dépourvus. Cest ce qui ressort de louvrage de Robert Colonna dIstria et Ivan Stefanovitch intitulé Le Sénat. Enquête sur les super-privilégiés de la République.
Les trois ordres
Le personnel du Sénat se répartit en trois catégories. Les chiffres sont ceux donnés dans louvrage analysé. Ils ont légèrement évolué depuis [1].
1. Les sénateurs (331) ;
2. Les fonctionnaires (1226) ;
3. Les assistants des sénateurs (nombre impossible à déterminer exactement).
Les auteurs comparent ces trois catégories aux trois ordres de lAncien Régime, les deux premiers étant les ordres privilégiés (respectivement noblesse et clergé), le troisième constituant le tiers état, composé dindividus taillables et corvéables à merci.
Les sénateurs restent en fonction pendant la durée de leur mandat, autrefois de neuf ans, aujourdhui de six. Le nombre de ces mandats nétant pas limité et linertie aidant, on en voit qui demeurent plusieurs dizaines dannées dans la place. Les fonctionnaires sont là à vie et vu quil ny a pas dendroits en France où un fonctionnaire soit mieux traité, ils ne cherchent pas à partir. Les assistants sont tributaires de leur sénateur et partent avec lui. En tant quemployeurs, les sénateurs peuvent sen séparer sans trop de formalités. Le système est adouci par le fait quil sagit souvent des conjoint (e) s, descendant (e) s ou ami (e) s.
Rémunération
Le traitement des fonctionnaires va de 2300 euros par mois à 20 000 euros pour les plus haut perchés. Le moindre huissier à ses débuts gagne donc plus quun professeur débutant qui a fait cinq ou six ans détudes après le bac. À cela sajoutent des primes de nuit qui concernent absolument tout le monde, même les jardiniers. La semaine est de 32 heures. Les vacances sont de quasiment quatre mois. Quelques chiffres encore : les 22 directeurs touchent autour de 15 000 euros mensuels : 220 administrateurs perçoivent entre 10 et 12 000 euros par mois.
La rémunération des sénateurs est constituée par une indemnité parlementaire de base auquel sajoutent diverses indemnités ce qui donne environ 11 500 euros. Sy ajoute une prime informatique (1 000 euros par mois), une enveloppe (6 900 euros) pour payer les collaborateurs, des indemnités diverses sur lesquelles nous reviendrons. Les déplacements SNCF sont gratuits en première classe pendant toute la durée du mandat et à 50 % pour les conjoints. Pour acquérir un logement ou payer les études de leurs enfants, les sénateurs peuvent emprunter à 2 %.
Les cinq plaies de ce corps politique
Les cinq tares mises en évidence dans cet ouvrage sont labsentéisme, le cumul des mandats, les indemnités abusives, les dépenses sans contrôle, la tendance au lobbying.
Labsentéisme
Les avantages évoqués valent aussi bien pour les bosseurs que pour les rois fainéants. Car labsentéisme est un mal endémique qui, en dépit du règlement, nentraîne aucune sanction. Un membre de la haute Assemblée résume la situation ainsi : « Un gros tiers ne vient jamais, un deuxième gros tiers vient irrégulièrement et un petit tiers travaille beaucoup. » À la fin du mois, le traitement est le même pour tout le monde. Quelle entreprise pourrait soffrir ce luxe ?
Jai vu récemment, pendant une trentaine de minutes, la retransmission dune séance. À aucun moment la caméra na balayé les travées où auraient dû siéger les sénateurs et pour cause. Le bon peuple aurait pu constater quelles étaient vides. Imaginons un cameraman qui, par gaminerie ou esprit de subversion, se soit arrêté longuement sur cet hémicycle déserté. Il aurait été renvoyé le lendemain puisquil sagit de la chaîne du Sénat.
Quand Jean-Noël Guérini déclare solennellement que sil est élu maire de Marseille, il démissionnera de son poste de sénateur, son adversaire, Jean-Paul Gaudin, lui-même sénateur-maire, ironise en disant que personne ne sen rendra compte puisquil ny va jamais.
Même lorsquils sont présents de préférence quand la télé est là les sénateurs offrent un spectacle attristant. Christian Vélot, chercheur en biologie, rend compte ainsi de sa visite au Sénat le 22 mars 2006 :
Au-delà de cet absentéisme pitoyable, reste le déroulement des débats. Un brouhaha incroyable ! Personne ou presque nécoute lintervenant qui fait (ou plutôt qui lit) son discours. Chacun parle dans son coin avec ses voisins ou y va de ses petites activités personnelles. [
] Lintervenant pourrait sadresser à la porte de ses chiottes, ça ferait le même effet. Du balcon où nous étions situés, nous avions une vue plongeante sur les pupitres des sénateurs du groupe UMP. Pas un seul navait le projet de loi sous les yeux ! Raffarin et ses potes ont passé leur temps de présence (environ trente minutes) à causer entre eux et se marrer, certains tournant carrément le dos à lintervenant. Dautres remplissaient des dossiers, regardaient leur agenda. Deux sénatrices au fond de lhémicycle (et donc juste en dessous de nous), après avoir regardé ensemble un album photo, séchangeaient leur permis de conduire, leur pièce didentité. [
] Et le plus drôle (enfin, façon de parler), cest quà la fin dune intervention, et uniquement sil sagissait bien sûr dun intervenant de leur groupe, ils applaudissaient comme des automates.
Le cumul des mandats
Le cumul des mandats nuit aussi à la bonne marche de linstitution. Un sénateur peut être en même temps maire, conseiller régional et même président du conseil général ou président dune dizaine de bidules. Comme on ne peut pas être partout, le cumul des mandats est surtout celui des rétributions.
Dominique Voynet, ancienne ministre verte, a beaucoup lutté contre le cumul des mandats à force de déclarations fracassantes. Mais quand elle est élue maire de Montreuil, elle conserve son poste de sénateur. Comme le dit un proverbe allemand, on ne mange pas la soupe aussi chaude quon la prépare. Et puis, Dominique Voynet a trouvé un argument imparable : en restant sénatrice, et donc en cumulant, elle pourra lutter plus efficacement contre le cumul des mandats. Il ne sagit pas dune plaisanterie. Elle la dit, sur France Inter, début juin 2008, à en croire les auteurs (p. 104-105).
Les indemnités abusives
Certains ont la fibre républicaine, mais dautres, sont des profiteurs patentés. À limage de Marcel Daunay. Ce bon vivant réussissait à se faire rembourser jusquà quatre repas par jour, présentait des notes dhôtel en France alors quil était au Canada ou ailleurs, demandait des indemnités kilométriques alors quil disposait dune voiture de fonction et, comme tous les sénateurs, ne payait pas le train. En 1992, ses différents frais atteignent 274 410 euros et englobent des passages dans des bars à hôtesses. Cette même année 1992, si on se fie aux demandes dindemnités, Marcel Daunay a travaillé 488 jours ! Les abus prennent des proportions incroyables quand il sagit des dignitaires. La retraite est accompagnée, pour eux, de quelques avantages non négligeables. Ainsi, Christian Poncelet, président du Sénat qui sest résolu à passer la main, devrait bénéficier pour le reste de ses jours, sajoutant à ses retraites cumulées, dun logement de 200 m2 à Paris, dune voiture de haut de gamme, dun chauffeur, dune secrétaire et dun policier attaché à sa personne. Doù une question que posent les auteurs : « Quels services Christian Poncelet a-t-il bien pu rendre au pays pour mettre à ce point le contribuable à contribution ? » Aux dernières nouvelles, suite à la pression médiatique, il aurait renoncé à lappartement, mais seulement à la fin de son mandat de sénateur, en 2014. Il aura alors 86 ans.
À un degré plus modeste, vous qui, après 40 ans de travail, essayez de survivre avec une retraite inférieure à 1 000 euros par mois, vous serez heureux dapprendre quun mandat de sénateur dune durée de six ans donne droit à une retraite de 1869 euros.
Dépenses sans contrôle
La plus grande opacité règne quant aux finances. Le système de la « réserve parlementaire » permet, en particulier, des interventions diverses, sans aucune transparence et du meilleur effet pour le clientélisme. Mais que fait donc la Cour des comptes me dira-t-on ? Eh bien, au nom du principe de la séparation des pouvoirs, elle na aucun droit de regard à ce que disent les auteurs. Alors que cest justement au nom de ce même principe quelle devrait être autorisée à regarder de près le registre des dépenses.
Tendance au lobbying
La vraie fonction du Sénat devrait être de tempérer les élans de lAssemblée nationale, den nuancer les décisions. En réalité, sil lui arrive de le faire, elle est surtout le lieu daction des lobbys. Lobbys des producteurs de lait ou dalcool, des grandes marques de tabac, des OGM, des armes à feu, des ventes à la découpe ou encore de la lutte contre lISF
Les affidés des lobbys singénient à dénaturer les lois mises laborieusement au point par les députés, même si ceux-ci néchappent pas non plus aux pressions. Les auteurs donnent plusieurs exemples auxquels je renvoie. Nous sommes dans le domaine des groupes de pression, du lobbying et, pour tout dire, du trafic dinfluence.
Nécessité et difficultés dune réforme
À défaut de la supprimer [2], il importe donc de réformer cette institution et les deux auteurs font des propositions précises dans ce sens. Le dernier chapitre est intitulé « Quinze réformes pour un nouveau président. » Mais ce nest pas facile. Le nouveau président justement, Gérard Larcher, élu au grand désespoir de Jean-Pierre Raffarin, a essayé de « réduire le train de vie de ladministration ». Mais, Le Monde du 16 février 2009 nous apprend que, le jour de la galette des Rois du personnel, les fonctionnaires lont hué. Gérard Larcher a rassuré, promettant quil ny aurait pas de cataclysme. En termes clairs, cela signifie que lon changera juste ce quil faut pour ne rien changer vraiment. La dépêche de lAFP relative à cette bronca a été retirée parce que ces messieurs et dames préfèrent laver leur linge sale en famille. Une interview de Robert Colonna dIstria, lun des deux auteurs, qui circulait sur Internet, nest plus disponible. Lopération mains propres nest pas pour demain.
Mai 2010
COLONNA DISTRIA Robert, STEFANOVITCH Yvan, Le Sénat. Enquête sur les super-privilégiés de la République, Rocher, 2008, 18,50 . »
http://www.lafauteadiderot.net/Des-senateurs-pas-exemplaires
*****************************************************************************
« Lopération mains propres nest pas pour demain. »
En effet !
« La dépêche de lAFP relative à cette bronca a été retirée parce que ces messieurs* et dames* préfèrent laver leur linge sale en famille. »
Et c’est …* « ça », qui nous dicte nos lois ? ? ?
On a LA société que l’on mérite !!!
AAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhh !