"Quand vieillir ensemble fait mal […] la violence conjugale vieillit avec le couple" !

Domestic abuse !(Pointez souris pour légende- Photo non contractuelle).

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Par Sylvie Gravel, Marie Beaulieu et Maxine Lithwick:

… »2. LES MAUVAIS TRAITEMENTS ENTRE CONJOINTS AGÊS LUCIDES:

Dans notre échantillon, 32 couples sur 61 sont formés de conjoints ne
souffrant pas de pertes cognitives. C’est plus précisément de ces couples dont il sera question dans cette section.

2.1 Description des situations de mauvais traitements

a) Les mauvais traitements infligés

Les mauvais traitements infligés, encore une fois, sont très majoritairement
de nature psychologique. On les retrouve dans 31 cas sur 32. Quant
à la violence physique, elle est présente assez fréquemment, soit dans 12
situations sur 32. Enfin, la négligence n’a été observée que dans cinq dossiers sur 32.

b) Caractéristiques des victimes et des auteurs des mauvais traitements

Encore une fois, la majorité des victimes sont des femmes (78,1 %). On
dénombre seulement sept femmes parmi les conjoints qui maltraitent. Mais
trois d’entre elles sont à la fois auteures et victimes de mauvais traitements, ce qui signifie que les mauvais traitements sont réciproques entre les deux conjoints.
Dans les couples où les deux conjoints sont lucides, les partenaires
victimes sont plus jeunes que dans les couples où l’un des partenaires souffre de pertes cognitives : les premiers ont en moyenne 73,1 ans alors que les seconds sont âgés en moyenne de 78,9 ans13. On constate des résultats
similaires chez les conjoints qui maltraitent : ceux provenant d’un couple où
les deux conjoints sont lucides sont plus nombreux à être âgés de 69 ans et
moins (33,4 %) que les autres (7,1 %)14. Ces données peuvent s’expliquer
simplement par le fait que les pertes cognitives sont associées positivement
à l’âge de la personne : plus une personne est âgée, plus les probabilités
qu’elle souffre de pertes cognitives augmentent.
Encore une fois, on remarque que les conjoints qui maltraitent sont plus
nombreux à être dépendants physiquement que les conjoints maltraités. Ainsi,
32.3 % des conjoints lucides victimes de mauvais traitements ne sont pas
totalement autonomes pour les activités de la vie quotidienne, alors que c’est le cas pour près de la moitié des conjoints auteurs de mauvais traitements(48,4 %)

12. L’exploitation financière n’a pas été analysée parce qu’elle n’est présente que dans huit cas sur 61…

2.2 Dynamiques des mauvais traitements

Nous avons voulu, dans cette section, identifier les éléments qui influent
sur la dynamique des mauvais traitements entre conjoints âgés. Trois facteurs
émergent de l’analyse. Il s’agit des antécédents de violence conjugale
au sein du couple, de la perte d’autonomie du partenaire qui maltraite et de
la perte d’autonomie du partenaire maltraité.

a) Une situation de violence conjugale qui a vieilli avec le couple

Une des questions qui surgit lorsqu’on aborde les mauvais traitements
au sein du couple âgé est de savoir si ceux-ci sont apparus récemment ou
s’ils sont l’expression d’une situation de violence conjugale qui a vieilli avec le couple. Lorsque les deux conjoints sont lucides, dans 68,8 % des situations,les intervenants ont identifié que le couple vivait de la violence conjugale depuis de nombreuses années, parfois même depuis le début du mariage. Plus précisément, dans plus des deux tiers des cas, la violence durait depuis plus de 40 ans.
Dans notre échantillon, à une exception près, c’est la femme qui est
victime de cette violence. Dans certains cas (7/32), les deux conjoints la subissent et l’infligent à la fois. Dans tous les cas de violence conjugale récurrente que nous avons répertoriés, les mauvais traitements étaient de nature psychologique, et accompagnés dans la moitié des cas de violence physique.
Selon Gesino et al. (1982), qu’elles soient jeunes ou âgées, les femmes
demeurent avec leur conjoint violent pour des motifs similaires : elles ont
une piètre image d’elles-mêmes, elles sont isolées socialement, elles croient
que le conjoint va changer, elles ressentent de la honte, elles ont peur de
subir des représailles, elles ne veulent pas être stigmatisées par leur famille et leurs amis. Ces auteurs avancent que ces facteurs agissent plus fortement sur les femmes âgées en raison de leur socialisation plus traditionnelle et de l’importance qu’elles accordent à l’institution du mariage. Quant à Pagelow 1981), elle estime que la femme âgée, au contraire de ses consoeurs plus jeunes, est souvent persuadée qu’il est trop tard pour modifier le cours des choses et recommencer une vie nouvelle.
Par ailleurs, nous croyons qu’il ne faut pas sous-estimer un aspect
gérontologique important lorsqu’il s’agit de femmes âgées victimes de
violence conjugale : la peur de vieillir seule. Notre étude n’a pas recueilli de données systématiques à ce sujet, mais nous posons l’hypothèse que la perspective de finir ses jours seule, avec tout ce que cela comporte d’incertitudes (Que va-t-il m’arriver ? Qui va prendre soin de moi ? Vais-je devoir quitter mon logement, ma maison ?) peut constituer un frein supplémentaire à l’action. Le fait de vieillir avec son conjoint, sans bien sûr éliminer ces incertitudes, peut diminuer l’anxiété ressentie face à l’avenir. Ajoutons à cela que les femmes qui vivent dans un milieu de violence psychologique et physique depuis un grand nombre d’années peuvent avoir adopté, au fil du temps, des comportements d’acceptation et de résignation, et intégré un état de victime.
Quand on veut comprendre les mauvais traitements à l’intérieur des
couples âgés, il faut remettre leur relation dans le contexte dans lequel elle est née et a évolué. N’oublions pas que les femmes qui sont aujourd’hui âgées se sont mariées dans une société plus sexiste et plus patriarcale que celle d’aujourd’hui, qui ne leur accordait que très peu de droits. Le seul modèle de femme que la société valorisait à l’époque était celui d’épouse et de mère subordonnée à un mari, qui, lui, se voyait principalement relégué au rôle de pourvoyeur. La plupart des hommes de cette génération ont exercé un contrôle important sur les décisions du ménage et même, dans plusieurs cas, sur la vie de leur conjointe. Rendus à un âge avancé, et même moins autonomes
physiquement, ces hommes veulent continuer d’exercer leur pouvoir.
Il s’est avéré très difficile pour les intervenants de comprendre de quelle
manière la violence dans le couple avait évolué au cours des années. Les
personnes âgées sont en général très réticentes à parler de leur relation de
couple, surtout si cette relation comporte des éléments abusifs. En
conséquence, les intervenants pouvaient constater de la violence conjugale
ou des conflits conjugaux présents depuis de nombreuses années mais
n’étaient pas toujours en mesure d’identifier les éléments qui nous auraient
permis de comprendre de quelle façon la situation s’était modifiée au cours
des années.

b) La perte d’autonomie du partenaire qui maltraite

Nous avons vu que près de la moitié des conjoints qui maltraitent leur
partenaire sont dépendants de ce dernier sur le plan physique. L’analyse des
histoires de cas a par ailleurs révélé que plusieurs hommes ont de la difficulté à accepter leur perte d’autonomie physique. Conditionnés à être les plus forts et à contrôler leur environnement, il leur semble plus difficile d’accepter une baisse de vitalité et une dépendance vis-à-vis des autres, et en particulier de leur femme. C’est leur statut à l’intérieur du couple qui se trouve ainsi affecté.
Certains conjoints deviennent alors très exigeants envers leur femme
qui, de leur point de vue, n’en font jamais assez pour eux. En outre, la conjointe peut elle-même se retrouver en perte d’autonomie et donc être moins
en mesure de s’occuper de son mari, ce qui augmente la frustration de ce
dernier, et les tensions dans le couple. Les mauvais traitements se traduisent alors par des demandes excessives, des critiques, des insultes, et parfois même des coups. En effet, si les problèmes de santé du conjoint qui violente peuvent faire diminuer la violence physique présente depuis des années, dans d’autres cas ils peuvent l’accentuer. Quant à la violence psychologique, qui, elle, n’exige pas de force physique de la part de celui qui l’exerce, il n’y a aucune contrainte à sa continuation ou à son augmentation. À la dépendance physique vécue par le partenaire qui maltraite s’ajoute la dépendance psychologique à l’égard du conjoint que l’on maltraite. Les conjoints qui maltraitent démontrent dans une proportion de 84 % de la dépendance psychologique envers leur partenaire.
La dépendance est un concept clé dans la littérature portant sur les mauvais
traitements à l’égard des personnes âgées (Pillemer, 1985 ; Steinmetz,
1988). Nous l’avons vu, plusieurs auteurs affirment que les personnes âgées
sont exposées aux mauvais traitements parce qu’elles sont dépendantes physiquement, psychologiquement ou financièrement d’une autre personne. Or,
des études ont démontré que certains mauvais traitements étaient non pas
dirigés vers des personnes âgées dépendantes physiquement, mais plutôt
infligés par des personnes manifestant une certaine dépendance physique,
psychologique ou financière envers la personne âgée (entre autres les enfants
adultes aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale
et qui dépendent d’une manière ou d’une autre de leurs parents âgés) (Wolf
et al., 1984 ; Pillemer, 1985). Nos résultats vont dans le même sens et
indiquent que la perte d’autonomie et la dépendance psychologique
caractérisent un grand nombre de conjoints âgés qui maltraitent.

c) La perte d’autonomie du partenaire maltraité

Dans d’autres cas, c’est l’homme qui est l’aidant et qui maltraite sa
conjointe. Celle-ci, affaiblie physiquement, devient une cible encore plus vulnérable aux mauvais traitements. Comme nous l’avons déjà mentionné, il
s’agit, selon plusieurs auteurs, de la situation typique : la personne âgée et vulnérable physiquement dépend d’un aidant pour ses soins quotidiens (Lau
et Kosberg, 1979 ; Steinmetz et Amsden, 1983 ; Steinmetz, 1988).

Encore une fois, la diminution des capacités physiques, cette fois-ci de
la conjointe, modifie les interactions entre les partenaires. Alors que la responsabilité de veiller au bon fonctionnement de la maison et au bien-être de la famille revient traditionnellement à la femme, la perte d’autonomie de
celle-ci force à une inversion des rôles entre les conjoints. C’est maintenant le mari qui doit pourvoir au bien-être de sa conjointe. Ce nouveau rôle d’aidant, auquel la plupart des hommes, surtout de cette génération, ne sont pas préparés, s’avère une source importante de stress. Nul doute qu’une telle situation, lorsqu’en plus les relations entre les partenaires sont peu harmonieuses, augmente la vulnérabilité de la conjointe aux mauvais traitements.
Chez les couples lucides, nous avons dénombré sept femmes parmi les
32 conjoints auteurs de mauvais traitements. Parmi elles, quatre sont aussi
maltraitées par leur conjoint. En dépit du petit nombre de situations où des
femmes âgées étaient auteures de mauvais traitements, deux constatations
ont pu être dégagées. Premièrement, lorsque les deux conjoints s’infligent
mutuellement des mauvais traitements, le plus souvent les comportements
abusifs s’inscrivent dans un contexte où les deux conjoints sont surtout violents psychologiquement l’un envers l’autre, mais parfois aussi physiquement, depuis des années. Deuxièmement, on remarque que les mauvais
traitements infligés par les femmes peuvent être exacerbés par la perte d’autonomie du mari ou apparaître avec celle-ci. Cette dernière constatation soulève une interrogation : se pourrait-il que certaines femmes, ayant subi de la violence de la part de leur conjoint pendant une grande partie de leur vie conjugale, s’approprient un nouveau pouvoir maintenant que celui-ci est en perte d’autonomie et le maltraitent en réaction à leur passé conjugal ?

Le plus souvent, le conjoint ayant des pertes cognitives et qui
maltraite est le mari. Les pertes cognitives étant associées à un âge avancé,
les conjoints qui en souffrent sont les plus âgés parmi ceux qui maltraitent.
Près de sept sur dix ont 80 ans et plus. Vu leur grand âge et leurs pertes
cognitives, seulement deux sur 15 sont complètement autonomes pour les
activités de la vie quotidienne. Les victimes, elles aussi, sont assez âgées.
Elles ont, en moyenne, 76,2 ans. Toutefois, malgré leur âge respectable, la
majorité (13/15) sont complètement autonomes pour les activités de la vie
quotidienne, et 12 d’entre elles agissent en tant qu’aidantes auprès de leur
partenaire. Les mauvais traitements infligés par ces conjoints en perte de
lucidité sont essentiellement de nature psychologique (15/15) et — moins
fréquemment — de nature physique (5/15) »
…(Extrait).

Cliquer pour accéder à quandvieillirensemble.pdf

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« Quand vieillir ensemble fait mal […] la violence conjugale vieillit avec le couple […] Le plus souvent, le conjoint ayant des pertes cognitives et qui maltraite est le mari […]Dans notre échantillon, à une exception près, c’est la femme qui est victime de cette violence.  » !

« Selon Gesino et al. (1982), qu’elles soient jeunes ou âgées, les femmes
demeurent avec leur conjoint violent pour des motifs similaires : elles ont
une piètre image d’elles-mêmes, elles sont isolées socialement, elles croient
que le conjoint va changer, elles ressentent de la honte, elles ont peur de
subir des représailles, elles ne veulent pas être stigmatisées par leur famille et leurs amis. Ces auteurs avancent que ces facteurs agissent plus fortement sur les femmes âgées en raison de leur socialisation plus traditionnelle et de l’importance qu’elles accordent à l’institution du mariage. Quant à Pagelow 1981), elle estime que la femme âgée, au contraire de ses consoeurs plus jeunes, est souvent persuadée qu’il est trop tard pour modifier le cours des choses et recommencer une vie nouvelle.
Par ailleurs, nous croyons qu’il ne faut pas sous-estimer un aspect
gérontologique important lorsqu’il s’agit de femmes âgées victimes de
violence conjugale : la peur de vieillir seule. Notre étude n’a pas recueilli de données systématiques à ce sujet, mais nous posons l’hypothèse que la perspective de finir ses jours seule, avec tout ce que cela comporte d’incertitudes (Que va-t-il m’arriver ? Qui va prendre soin de moi ? Vais-je devoir quitter mon logement, ma maison ?) peut constituer un frein supplémentaire à l’action. Le fait de vieillir avec son conjoint, sans bien sûr éliminer ces incertitudes, peut diminuer l’anxiété ressentie face à l’avenir. Ajoutons à cela que les femmes qui vivent dans un milieu de violence psychologique et physique depuis un grand nombre d’années peuvent avoir adopté, au fil du temps, des comportements d’acceptation et de résignation, et intégré un état de victime. »

Hélas!

Ma conclusion :

-Ne pas être dépendante de son mari, sous aucune forme…ni alibi/prétexte(!)

– Et se barrer…encore jeune ? Peu de chance, en effet, qu’il ne change avec le temps, au contraire…Et faire confiance à la vie, malgré tout, un super « nounours » vous attend peut-être… quelque part ? 😉

PS- Oui, il existe aussi des cas de vieux mecs maltraités par leur épouse, mais cela ne change en rien le…CONSTAT ci-dessus ! :##