(Si vous l’avez raté).
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Par Caroline Reiniche -Sage-femme
« Point du mari » après l’accouchement, je n’y ai pas cru… jusqu’à ce que je le voie:
Si toutes les professions colportent leur lot dhistoires « invraisemblables mais cest vraiment arrivé, je te jure on me la raconté », autant vous dire que lobstétrique, qui touche à la fois au mystère de la naissance et à celui du corps des femmes, détient probablement la palme dans ce domaine.
Cest pendant mes études, par la rumeur interne à lécole de sage-femme, que jai pour la première fois découvert une de ces histoires racontées à mi-voix : le point du mari.
Ce délicat euphémisme désigne une pratique barbare et mutilante qui consiste après un accouchement, lors de la suture dune déchirure ou dune épisiotomie, à recoudre le vagin « plus serré », dans le but dune sensation sexuelle plus intense pour le partenaire. En profitant du fait que la muqueuse vaginale, même sur ses parties non-déchirées, est érodée par le passage de lenfant, on fait quelques points rapprochant les berges inférieures, qui vont ainsi cicatriser au-delà des limites quelles avaient avant laccouchement, créant un orifice externe plus étroit.
Un médecin suturait toujours les vagins de la sorte
Sincèrement, je ny ai pas cru, en tout cas pas pour une période contemporaine. Il y a 30, 40 ans, peut-être, mais au XXIe siècle, vraiment ? Sauf quà peine diplômée depuis quatre mois, je lai vu. C’était en 2008.
Après un accouchement dans une clinique, jai vu un médecin réaliser une série de points (oui, parce quon dit « le » point, mais il en faut un peu plus pour que ça tienne) sur la fourchette vaginale, sans bien comprendre. Ce sont ses propres mots, une fois sorti de la chambre de la patiente, qui mont éclaircie :
« Son mari me remerciera, je lui ai refait un vagin de jeune fille ! »
Trop jeune, trop inexpérimentée, je nai pas osé protester, mais jen ai parlé à mes collègues habituées du lieu, qui mont déclaré que oui, cétait connu, il suturait toujours comme ça.
Une mutilation, purement et simplement. Un geste non seulement inutile mais néfaste, puisque le tissu cicatriciel ainsi créé nest absolument pas élastique, donc rend la pénétration systématiquement douloureuse. Un abus de pouvoir médical caractérisé, réalisé en labsence de tout consentement ou information de la femme concernée, au soi-disant bénéfice dun conjoint supposé préférer les rapports sexuels avec une femme qui souffre à chaque fois.
Cette pratique est marginale, mais il ne faut pas la taire
Cette pratique est marginale, je ne lai en six ans constatée quune seule fois, mais je ne suis pas la seule. Agnès Ledig, sage-femme et écrivain, a récemment publié un texte sur le sujet, suite à des témoignages de plusieurs collègues.
La première réaction relayée par la presse en ligne est celle de deux médecins, qui tombent visiblement des nues, et semblent remettre en question lexistence même de la pratique. Tant mieux si ces gynécologues nont jamais croisé de victimes ou de bourreaux de cet usage dun autre temps ; mais la bonne réponse consiste-t-elle donc à nier la valeur du témoignage des femmes concernées ? Quand bien même seule une poignée de bouchers serait coupable en France, serait-ce une raison pour se taire ?
Le silence et le déni ne sont pas la solution ; cest loccasion au contraire douvrir un débat plus pertinent, qui concerne de bien plus nombreuses femmes : le point du mari nest que la face la plus obscure dune problématique plus vaste, lincapacité pour beaucoup de praticiens de la naissance à ne pas oublier que le vagin de laccouchement est le même que celui de la vie sexuelle.
Des vagins mal suturés, par manque dinformation, par manque de formation, qui occasionnent des dégâts sexuels parfois irréparables. Des femmes qui souffrent, un peu, beaucoup, de maladresse et dignorance.
Au-delà du corps qui accouche, il y a la vie sexuelle d’une femme
Lors des mes consultations de suivi gynécologique, je vois des femmes à distance de leurs accouchements, et des périnées abîmés, sans être quotidiens, nont rien dinhabituels. Parfois asymétriques, parfois rigidifiés par des cicatrices de points trop serrés, parfois augmentés dune bride cicatricielle qui gêne les rapports, se déchirant régulièrement.
Je ne crois pas que toutes ces femmes aient été victimes dune intention malveillante de la part de la sage-femme ou du médecin qui les ont recousues.
Je me souviens juste que lapprentissage de la suture pendant mes études consistait en tout et pour tout à faire des points réguliers et serrés sur une cuisse de poulet, et à faire les nuds à une seule main ; quil a fallu que je croise de trop rares sages-femmes pour mapprendre comment on évite toujours de faire un point juste à la commissure postérieure (un avant, un après, mais jamais dessus) parce que ce point-là peut à lui seul créer une gêne aux rapports.
Je me souviens que les internes de gynécologie sont bien souvent seuls pour faire leurs sutures, apprenant sur le tas, appliquant les techniques apprises pendant leur externat sur dautres parties du corps ; que devant une méthode relativement récente, le « un fil-un nud », qui a fait ses preuves pour prévenir les douleurs sexuelles, jai vu trop de collègues tordre le nez parce qu’en cas derreur, il faut tout recommencer, et cest plus long.
Médecins ou sages-femmes, nous pouvons tous être amenés à oublier quau-delà du corps qui accouche, il y a une femme qui avait une vie affective et sexuelle avant de nous croiser, et qui a lintention de la poursuivre après.
Nous sommes mal sensibilisés à ces problématiques pendant nos études, nous sommes surchargés de travail, nous sommes des êtres humains avec nos limites, mais le pouvoir que nos connaissances et la confiance de nos patientes nous donnent doivent nous obliger à passer outre. Nous devons tous, à chaque instant, remettre nos pratiques en question pour toujours plus respecter les femmes que nous accompagnons et que nous soignons. »
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» Des vagins mal suturés, par manque dinformation, par manque de formation, qui occasionnent des dégâts sexuels parfois irréparables. Des femmes qui souffrent, un peu, beaucoup, de maladresse et dignorance. « …
« La première réaction relayée par la presse en ligne est celle de deux médecins, qui tombent visiblement des nues, et semblent remettre en question lexistence même de la pratique. Tant mieux si ces gynécologues nont jamais croisé de victimes ou de bourreaux de cet usage dun autre temps ; mais la bonne réponse consiste-t-elle donc à nier la valeur du témoignage des femmes concernées ? Quand bien même seule une poignée de bouchers serait coupable en France, serait-ce une raison pour se taire ? »
En effet !!!!!!!!!!!!!!!!!!