L’amputation: victime et bourreau ?

Pour Dassine, suite du com posté sur son blog :

 » À trente cinq ans, je quitte l’île toute seule et sans bagage, pour « Nulle Part ».
Je suis comme une somnambule. Je ne me souviens plus de l’aller-retour à l’île voisine. Je suis la seule passagère en transit. Ella obtient la permission de rester à bord. Elle nous enferme dans les toilettes et je m’assieds sur l’abattant du WC.
J’ai sommeil, à cause des tranquillisants, sûrement. Peut-être que je m’endors. Quelque temps après, j’entends une galopade dans le couloir de la cabine, qui me fait sursauter.
– Mais il est complètement fou! s’exclame une hôtesse.
Bientôt les passagers commencent à arriver. Nous regagnons ma place et l’avion décolle.

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Nous atterrissons à Orly, Ella et moi, dans un petit matin brumeux.
Je ne sais où aller. Personne ne m’attend. J’ai désormais tout le temps et l’espace devant moi, réunis en une grande plage nue, sombre et froide où je n’ai plus de rêves à dessiner, ni de châteaux à construire.
Les boutiques de l’aéroport s’ouvrent. Trois heures se sont écoulées depuis mon arrivée .Il faut absolument que je me débarrasse de mes vêtements. Ils puent la poisse, l’échec et l’oubli. Je me procure de quoi me changer de la tête aux pieds.
Une navette me conduit aux Invalides. Je suis bancale sans les petits, que j’avais complètement à ma charge depuis leur conception. Je me sens désertée, affreusement dépouillée de tout, absolument vide et inutile. Je cherche désespérément un sens, même provisoire, à ma vie immédiate. Il faut, à tout prix, que je trouve un moyen pour survivre à cette amputation douloureuse. Il est urgent pour moi de trouver un truc pour ne plus penser aux enfants, plus du tout, juste le temps d’avoir moins mal. Ella décide de les mettre dans une grande maison fleurie dont nous gardons toujours la clé sur nous. Ils ne seront plus perdus dans un néant inaccessible et lointain, mais bel et bien dans un endroit tout proche, où je pourrais aller les voir quand je le désirerai. Mais je sais que si je veux m’y rendre, le prix à payer est d’accepter de me précipiter dans un abîme de douleur intolérable. Je pénètre au coeur de cette phrase d’un otage rescapé du Liban : »je m’interdisais de les visualiser (les membres de sa famille) pour ne pas trop souffrir ».
J’ai erré toute la journée, je n’ai ni faim, ni soif. La nuit tombe, il me faut trouver un abri. J’entre dans le petit hôtel qui fait l’angle de la rue.
Je n’arrive pas dormir, car je ne sais pas comment éteindre la télé qui marche dans ma tête. Au petit matin, je m’assoupis. Et là, je retourne auprès des enfants: je suis de nouveau la cible d’un fusil, d’un revolver , d’une hache ou d’un jet d’acide; je n’entends plus les insultes crades, car un puissant genou m’écrase la poitrine, pendant que deux mains vigoureuses m’enserrent le cou. Je suffoque…Et je me réveille hagarde.
Aussitôt debout, je recommence mon errance solitaire et inutile, au hasard des rues et des heures.
– Tu as entendu ? Me dit un jour Ella. Le type penché au-dessus de la bouche d’égout a dit à son copain qui descendait dans le trou : »regarde la droguée, là », en parlant de toi. Quel abruti ! C’est Brutus qui serait content de l’entendre.
Je sais qu’Ella me parle, mais je ne comprends pas le sens de sa phrase. Pas plus tard que ce matin, la patronne de l’hôtel m’a demandé: « voulez-vous prendre un petit déjeuner? ” J’ai parfaitement compris qu’elle me proposait quelque chose. J’ai bien entendu le mot déjeuner, mais aucune image n’apparaît à l’évocation de ces mots. Ils ne me sont pas étrangers, seulement absents.
Il y a une semaine que je suis arrivée à Paris. Ella m’interdit d’aller retrouver les enfants, dans la belle maison. C’est elle qui garde la clé. Elle me promet que ce sera pour bientôt.
J’adresse une missive à Brutus: il reste soudé à sa haine et refuse ma proposition de partage des enfants, selon leurs désirs, par le juge qui s’occupera du divorce.
Le commissaire de la Police Judiciaire m’écrit que tout va bien. Il me conseille de faire le nécessaire pour divorcer et me demande de détruire toutes ses lettres. Ce que je ne fais pas, car elles sont mon seul lien avec le passé. La preuve pour « les autres », aussi, que je ne délire pas. Que toute cette horreur est bien réelle!
Dans sa première lettre le commissaire parle, notamment, des circonstances de mon départ de l’île. Il raconte comment Brutus s’est précipité à l’aéroport quand il s’est rendu compte que je ne rentrais pas à la « Prison ». De quelle manière, il a forcé le service de contrôle des départs et réussi à monter dans l’avion. Comment il a été intercepté par les policiers de la PAF lancés à sa poursuite et conduit au poste.
Heureusement qu’Ella nous avait cachées dans les toilettes, car c’est une drôle de couronne qu’il nous aurait offerte… »
( Extrait du Père-Ver, paru en 2000 et épuisé )

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Rire
Des éclats de rire géants : ce sont mes SEULES prières, CHAQUE jour !!! Et ça marche !!!

Victime et bourreau ?

Non, toute cette horreur est juste le produit d’une société machiste, poussé jusqu’à la caricature extrême. Le machisme n’est JAMAIS anodin : au « mieux » ( !), il dévalorise les femmes, au pire, il en tue…Tous les jours !

Curieusement, une VRAIE tentative de suicide, m’a donnée un élan de vie extraordinaire : la mort boudait, alors j’allais vivre pour ma « liberté retrouvée » et pour mes petits.

…Je ne les reverrais que …10 ans plus tard : le pervers continuait ses menaces de mort sur nous tous, y compris sur ma nouvelle famille (avec recherche par détective privé !) : la police se déclarait incompétente !

Bref, j’ai suivi une longue et « terrible » analyse avec 2 psy ( homme et femme) ; j’ai beaucoup peint une infinité de tableaux « psyco/symboliques », et j’ai tout raconté dans un roman.
Les télés, des radios, des journaux en ont fait des reportages ou des articles et il s’est bien vendu; l’ignoble individu a dû déménager et se « cache » depuis, dans un coin de l’île : je ne l’ai JAMAIS revu !

Je suis aujourd’hui, une ( jeune ), femme infiniment heureuse, douée d’une énergie et d’une pulsion de vie incroyables…

Mais j’ai tellement de peine quand j’imagine le sort enduré par celles qui sont ENCORE dans la merde la plus noire, engluées par les petits, la dépendance matérielle et affective, le poids culturel et social, machiste…

C’est la raison de mon blog : je paie ma « dette » de… bonheur.

Et…Je DENIE, à QUICONQUE le DROIT de venir me DICTER la MANIERE de le faire!!!

Je t’embrasse…Et continue d’être « leurs » voix !

Tingy.

PS- « Ella » est venue s’asseoir un jour, sur le siège passager de ma voiture; elle a disparu…10 ans plus tard, tout aussi discrètement ; grâce à sa présence affectueuse et attentionnée, j’ai pu survivre…