( Pour celles et ceux qui ne l’ont pas lu ).
Frédéric Ploquin – Mercredi 15 Juin 2011
« Les avocats de Dominique Strauss-Kahn, William Taylor et Benjamin Brafman, viennent dannoncer quils nont aucune intention de « salir » la plaignante. Un moment de pédagogie à lintention du public et de la presse française, priés de comprendre pourquoi labsence de juge dinstruction dans le système américain les oblige à enquêter sur la jeune femme de chambre guinéenne. Peut-être aussi un premier aveu, car au fond, comment « salir » une femme qui ne présente, à première vue, aucune faille digne dêtre exploitée ?
On a beau fouiller, déranger ses voisins, pister ses proches, Nafissatou Diallo présente obstinément limage lisse dune immigrée africaine obligée de multiplier les heures supplémentaires pour survivre à New York, dans cette Amérique où la précipitée la mort prématurée de son mari, alors quelle navait même pas 18 ans. De 30 ans la cadette de celui quelle accuse, elle ne compte que sur elle même et cumule tellement dheures sup dans lhôtel français qui lemploie, à 45 minutes de métro de chez elle, quelle peine à entretenir la moindre amitié.
DSK est lhomme de tous les réseaux DSK ; Nafissatou est la femme sans relation. Il est quelquun ; elle nest personne. Il est un people, elle est le peuple. Il est connu de toutes les chancelleries ; on ne se souvient de Nafissatou que dans son bidonville, ce tas de paillotes qui la vue grandir, en Guinée. DSK est attendu en France comme le Père Noël par des milliers délecteurs ; elle nest guettée que par sa fille de 15 ans, à laquelle elle consacre son énergie.
Il est une star globale ; elle na pas laissé de trace dans le foyer où elle a atterri en arrivant à New-York, il y a 7 ans. Les seules à vaguement voir qui elle est sont les clientes de la laverie automatique du coin, et ses voisines dominicaines au 4ème étage de limmeuble où elle a déniché un logement social dans le Bronx, à langle de Gerard Avenue et de la 161ème rue, bâtisse en briques qui abrite quelques malades du sida, avec vue sur le métro aérien. Et aussi les habitués de cette gargote aux parfums de mafé où elle faisait le service et la plonge avant de dégoter ce boulot au Sofitel, à 23 dollars de lheure un bon plan, la plupart plafonnent à 10 dollars. La porte de son petit rêve américain à elle. De quoi se nourrir, se coiffer, envoyer des sous à la famille, un destin qui naurait jamais du mettre DSK sur son chemin.
Les avocats de DSK jurent aujourdhui quils ne la saliront pas, mais cest peut-être parce quils ne trouvent aucune aspérité. Rien que la vie trop normale dune africaine sans le sou à New-York. Comment transformer Miss Nobody en Mata Hari ? Comment faire de cette travailleuse plutôt soumise une comploteuse ? Ils vont cependant continuer à fouiller. Comment est-elle arrivée en territoire américain ? A-t-elle « loué » un passeport pour loccasion, comme cela se pratique chez les « je-me-débrouille » de toute lAfrique ? A-t-elle laissé une ardoise quelque part ? A-t-elle déjà eu affaire à la justice ? Qui est ce garçon, « Blacky », restaurateur de son état, qui sest fait passer pour son frère ? Ses murs plaident-ils pour une relation consentie, voire tarifée ? Est-elle saine de corps et desprit ?
Face aux détectives, la femme sans visage est démunie : lEuro RSCG (boite de com’ de DSK) du pauvre na pas encore vu le jour. Elle na pas que des supporteurs, de nombreuses africaines la traitant de « voleuse » ou de « menteuse », comme pour conjurer leur honte. Elle commence cependant à devenir quelquun, et cela pourrait compliquer la tâche de la défense. Elle devient « le héros invisible dune communauté invisible », selon les mots de ce Togolais, travailleur social à Manhattan. Elle est érigée en symbole de toutes les femmes de ménage harcelées, avec le concours du syndicat de lhôtellerie, Local 6, très implanté dans le Sofitel élu par DSK, ce quil ignorait certainement.
« Il est multimillionnaire, mais ce quil a fait le ramène à zéro », proclame une syndiquée. Nen déplaise à ceux qui affichent leur soutien à la « victime du système judiciaire américain », « Nafi » recevrait elle aussi des dizaines de messages de sympathie qui pourraient la transformer en symbole du peuple sans domestique, en patronne de celles qui nosent pas, qui ne peuvent pas parler. Un nouvel avocat est entré en scène depuis une semaine pour lépauler, Kenneth P. Thomson, spécialiste de la discrimination qui présente sa cliente comme « une femme dévastée, mais courageuse, digne et respectable ». « Linfluence de DSK ne changera rien à ce qui sest passé dans cette chambre », insistait-il alors que le « frenchy » venait de plaider non coupable. « Elle le dira au monde entier ». Propos dun calibre du barreau, noir comme sa cliente, qui après avoir balayé deux confrères annonce une défense aussi politique quoffensive.
Miss Nobody, que ses voisines dans le Bronx disent « calme, tranquille et travailleuse », ne sétait fâchée quavec une personne, sa sur, qui lavait accueillie à son arrivée en Amérique. Elle navait probablement jamais sollicité la police, cela ne se fait pas dans la communauté africaine, trop précaire pour sexposer. Demain, elle sera « la femme qui a dit non » et pourrait attirer autant de caméras que celui qui se voyait en haut de laffiche. Surexposée, tous ses petits et grands secrets éventés, jusquaux causes de la mort de son mari avant son départ pour lAmérique, elle offrira le seul visage que lon entrevoit delle en enquêtant dans les rues de son quartier : celui de la survie.
Au jour du procès, « he said, she said », ce sera parole contre parole. Les avocats de DSK plaideront la transaction qui a mal tourné, une relation habituelle ou la simple atteinte aux murs, tout en traquant le vice de forme, par exemple du côté des conditions de son arrestation dans lavion, où il voyageait comme patron du FMI, non comme simple citoyen ; elle tentera de raconter sans se contredire comment leurs deux ADN ont été retrouvés sur la moquette de la désormais célèbre suite 2806. »
Source Marianne.