[ Aux femmes les rôles de « machines à pondre », femmes soumises et mères dévouées."] (Vision de Darwin).

Amour parfois...  pathogène!(Gouache non contractuelle- Pointez souris pour légende.)

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Par JEAN-FRANÇOIS DORTIER:

… » Dans La femme qui n’évoluait jamais (publié en 1983 aux Etats-Unis), Sarah Blaffer Hrdy contestait vigoureusement la vision darwinienne selon laquelle la nature aurait assigné aux femmes les rôles de « machines à pondre », femmes soumises et mères dévouées.

Dans Les Instincts maternels, S. Blaffer Hrdy défend une thèse qui se démarque à la fois du déterminisme implacable des gènes et de la thèse culturaliste, qui fait de l’amour maternel une pure « construction sociale ». Pour l’auteur, il ne fait aucun doute qu’il existe des mécanismes biologiques qui attachent la mère à son petit. Mais ces mécanismes ne sont pas des pulsions aussi implacables que le besoin de manger ou de dormir. Pour passer de la prédisposition à l’amour maternel effectif, il y a une cascade de logiques qui s’enchaînent. Et c’est la complexité de ces mécanismes qu’elle entreprend de décrire.

Les chercheurs ont mis en évidence chez les mammifères une zone spécifique du cerveau (située dans l’hypothalamus) qui stimule les comportements d’élevage. Cette zone cérébrale est sous la dépendance d’une famille de gènes appelés « gènes fos ». Une souris dépourvue du gène fosB ne sait pas s’occuper de ses petits et les délaisse. Le mécanisme est en fait plus subtil. C’est l’odeur des petits qui déclenche l’activation de ce gène, qui lui-même participe à la production d’hormones spécifiques stimulant la réaction maternelle. Un élément intermédiaire est donc à prendre en compte : l’odeur des petits. Tous les gens qui ont vécu à la ferme savent qu’il ne faut pas toucher les lapereaux tout juste nés. Imprégnés d’une odeur étrangère, ils ne seront plus reconnus par leur maman, qui les tuera sans pitié. Inversement, si l’odeur familiale est appliquée à un rejeton d’une autre espèce, la mère va s’attacher amoureusement à lui. C’est ainsi qu’une chatte pourra s’occuper d’un petit lapin ou d’un chiot. On a vu récemment une femelle lion s’amouracher d’une petite antilope, sa proie favorite habituelle ! Un autre mécanisme déclencheur du comportement maternel provient de la prolactine, une hormone qui produit la lactation chez les jeunes mères. La montée de lait déclenche chez les jeunes mères des pulsions maternantes. Il arrive que des jeunes femmes qui n’avaient jusque-là éprouvé aucun sentiment particulier pour les bébés, et redoutaient même de devoir s’en occuper, changent complètement à la naissance d’un enfant.

Hormones, odeurs, gènes… il existe donc de puissants motifs biologiques pour encourager les mères à s’occuper de leurs petits. Mais cela suffit-il à faire de toutes les jeunes femmes des mères aimantes et attentionnées ? En aucun cas. Après avoir décrit quelques bases biologiques de la maternité, S. Blaffer Hrdy rappelle que certaines mères sont négligentes, d’autres distantes ou même maltraitantes à l’égard de leurs petits. Certaines préfèrent un enfant à un autre, se choisissent des souffre-douleur. Pire : certaines mères pratiquent l’infanticide. L’auteur a été une des premiers chercheurs à montrer l’importance de l’infanticide dans le monde animal : scarabées, araignées, souris, écureuils, ours, hippopotames, loups pratiquent l’infanticide. Le plus souvent, il s’agit de meurtres commis par des mâles qui viennent de s’emparer d’un harem et se débarrassent des enfants présents. Mais l’infanticide est aussi le fait de mères qui opèrent un choix dans leur portée et abandonnent ou dévorent certains de leurs petits. L’infanticide est aussi présent dans les sociétés humaines. Et il n’est pas aussi rare qu’on pourrait l’imaginer. Dans beaucoup de sociétés primitives, c’est une pratique courante lorsque l’enfant est handicapé, ou que l’on ne connaît pas de moyen de contraception, ou encore faute des ressources nécessaires pour s’en occuper. Les infanticides ont été décrits autant chez les Yanomanis du Brésil que chez les Kungs d’Afrique du Sud. On sait que dans l’Antiquité, tout comme en Asie aujourd’hui, l’infanticide des petites filles a été pratiqué de façon sans doute massive.

L’abandon est un autre phénomène de masse à l’échelle historique. L’historien John Boswell a rassemblé des données sur les abandons d’enfants en Europe, de la fin de l’Antiquité à la Renaissance. Les résultats sont effrayants. Rome, dans les trois premiers siècles de notre ère, a connu des taux d’abandon de l’ordre de 20 à 40 % des enfants nés vivants ! Au Moyen Age et à la Renaissance, l’abandon d’enfant devient un problème social de grande ampleur amenant les Eglises et les gouvernements à fonder des centres d’accueil. En 1640, 22 % de tous les enfants baptisés à Florence étaient des enfants abandonnés. En Toscane, à la même époque, ils représentaient 10 % des naissances.

L’importance de l’abandon et de l’infanticide suffit à remettre en cause l’idée d’un instinct maternel irrépressible. Certes, les mères qui se débarrassent de leurs enfants ont d’impérieuses raisons : la pauvreté, la solitude, l’enfant illégitime qu’il faut éliminer, le désarroi… La plupart des femmes qui s’y sont résolues l’ont fait la mort dans l’âme. Mais le fait même qu’elles aient cédé à ces pressions sociales prouve que l’instinct ne commande pas tout et qu’on peut lui désobéir. Infanticide, abandon, mise en nourrice, maltraitance… En somme, il ne faisait pas bon être enfant dans les temps anciens. Voilà pourquoi, selon S. Blaffer Hrdy, il a fallu que les enfants déploient des stratégies pour séduire les adultes et empêcher qu’on les rejette. Car l’amour maternel ne vient pas que de la mère : il suppose une intervention active de l’enfant pour se faire aimer. En termes évolutionnistes, plusieurs stratégies de séduction sont déployées par les nourrissons. Il y a d’abord les pleurs et les sourires. Les cris de bébé, tout comme les miaulements du petit chat, provoquent spontanément des réactions de compassion. De même, plus tard, la physionomie du nourrisson : grands yeux, visage rond, petite main potelée sont des prototypes qui stimulent chez l’adulte l’attendrissement. Et ce mécanisme ne touche pas que la mère mais aussi les personnes alentour.

Cette stratégie est payante. Beaucoup d’enfants délaissés par leur mère pourront être adoptés et recueillis par des « alloparents » (tantes, grands-parents) ou des étrangers. La nature a donc pourvu les nourrissons de défense contre les défaillances possibles de leur mère. Il est à remarquer que, dans beaucoup de sociétés de mammifères, les alloparents jouent un rôle important dans la prise en charge des petits. Chez les chimpanzés, les femelles et les mâles se disputent pour prendre un nourrisson, le petit exerçant sur eux une force quasi magnétique.

Cette aptitude des bébés à séduire les adultes autres que leur propre mère remet en cause, selon l’auteur, les analyses unilatérales sur l’attachement. Rappelons que la théorie de l’attachement de John Bowlby suppose que l’enfant éprouve un besoin de contact avec sa mère. Les enfants privés d’affection et de contacts maternels souffrent de graves carences. Or, les études récentes sur l’attachement montrent que certains enfants n’ont pas une attitude aussi dépendante à l’égard de leur mère. Certains remplacent très bien leur maman par des mères de substitution ou d’autres contacts sociaux. S. Blaffer Hrdy s’en prend donc aux conclusions hâtives qui rivent la mère à ses petits au nom de l’impératif de l’attachement.

Au final, la thèse centrale de l’auteur est que l’instinct maternel n’agit pas comme un programme infaillible. Il opère plutôt par une série continue de détonateurs, qui peuvent ou non s’amorcer, selon les circonstances ou les réactions à l’environnement. « Au lieu des vieilles dichotomies entre nature et culture, il faut s’intéresser aux interactions complexes entre gènes, tissus, glandes, expériences passées et signes de l’environnement, y compris les signaux sensoriels lancés par les nourrissons et les individus proches »… (Extrait).

Sarah Blaffer Hrdy , primatologue et anthropologue, membre de l’Académie des sciences américaine, professeur émérite d’anthropologie à l’université de Caroline-Davis, s’est faite connaître par ses travaux sur les langurs, de petits singes d’Amérique du Sud. Elle a publiéLa Femme qui n’évoluait jamais (1983, trad. française Payot, 2002). »

http://www.scienceshumaines.com/y-a-t-il-un-instinct-maternel_fr_2849.html

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« Au lieu des vieilles dichotomies entre nature et culture, il faut s’intéresser aux interactions complexes entre gènes, tissus, glandes, expériences passées et signes de l’environnement, y compris les signaux sensoriels lancés par les nourrissons et les individus proches »…

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