Au coeur de la vague…

A ma fenêtre ce soir(tableau: un monde singulier!).

« Je ne sais s’il fait jour ou si c’est la nuit. De gros nuages roulent dans un ciel d’encre. Je suis dans une mer noire et épaisse.
Soudain, je me retrouve au milieu d’une énorme vague, tantôt prisonnière au cœur du rouleau et tantôt suffoquant dans les millions de bulles s’entrechoquant dans les parois du tube d’eau salée. J’étouffe. J’ai l’atroce certitude que je vais périr noyée. Je réussis, dans un effort désespéré, à refaire surface, mais la vague monstrueuse me rattrape. Je suis bientôt engloutie sous une épaisse couche de mousse salée. Elle me roule et m’enroule, me soulève et me brosse sur le fond, avant de m’abandonner, à bout de souffle, sur la grève luisante et caillouteuse.
De peur que le rouleau ne me reprenne, je rampe péniblement sur les galets roulés qui me ramènent souvent en arrière. Toute mon énergie est mobilisée pour échapper au danger que je sens haleter juste derrière mon dos. Il faut à tout prix, que je m’échappe de cette mer qui veut ma perte. Après une éternité, pendant laquelle j’ai l’impression de ne pas progresser d’un centimètre, je me retrouve sur la terre ferme. Je reste couchée de tout mon long, trop épuisée et transie pour me tenir debout.
Mais le souvenir de mon enfermement dans la vague, resurgit, et je me relève aussitôt afin de me mettre le plus loin possible, hors de sa portée. Au bout d’un long moment, je m’arrête et je regarde autour de moi. On dirait un terrain vague de fête foraine, d’une hostilité totale, comme privé de vie. De grandes flaques d’eau luisantes éclairent un peu ce paysage si sombre. Des silhouettes sont agglutinées en petits groupes assis ou debout, totalement immobiles et muettes. Je m’approche d’un personnage pour lui demander où je me trouve, mais apparemment, il ne me voit pas, ne m’entend pas et ne sent même pas que je touche son épaule, rigide comme du bois.
Je m’assieds à même le sol, dans la boue, je suis si lasse. J’ai froid, tellement froid. Je suis seule, abandonnée, dans un lieu hostile, plein de ténèbres et sans possibilité aucune de communiquer avec qui que ce soit.
De grosses larmes montent à mes yeux et mes sanglots me réveillent, le cœur douloureux.
À ce point de mon récit, mon regard rencontre celui de Wanda qui m’écoute gravement. Je conclus:
– Ce n’est qu’un cauchemar et pourtant je garde là, au creux de l’estomac, un poids qui m’étouffe.
– Quelle est cette mer, demande-t-elle ?
À ma grande surprise, tous les kilos entassés sur ma poitrine se liquéfient et refluent vers mes yeux, qui débordent pendant un long moment. Wanda pousse devant moi une boîte de Kleenex. C’est le grand débordement. Que d’eau !
Quelle est cette mer ? Ma mère bien sûr. Maman…
Il ne sera plus jamais question de ma mère. De ce côté-là, les tiroirs sont enfin rangés. Tout est en ordre. Je suis à ma place et elle, à la sienne. C’est-à-dire chacune de notre côté. Le hasard de ma naissance m’avait placée en travers de sa route. Elle m’en avait écartée…
– Nous en resterons là pour aujourd’hui.
Wanda me reconduit à la porte et m’informe qu’elle sera absente deux semaines.
Je mets des lunettes solaires. Pour mon nez rouge, il n’y a malheureusement rien à faire.
(Extrait du roman « Le Père Ver »).

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Après la « nuit » la plus noire,

Le « jour » finit toujours par se lever

A nous de le peindre à NOS couleurs !