
» La nouvelle a éclaté, comme une bombe, au JT de vingt heures, hier soir. Un mal dorigine inconnue, sévit uniquement chez les humains de race mâle. Cette maladie épouvantable a pris naissance dans les Émirats et des cas ont fait leur apparition en France, en Allemagne, en Italie et en Amérique du Nord.
On a bien tenté de dissimuler quelque temps cette information pour ne pas affoler les populations, mais le mal se propage à une telle allure, que lon compte déjà des dizaines de morts.
En fait, le sujet commence par ressentir une grande fatigue physique qui va en empirant chaque jour. Au bout de quelques semaines, il voit ses cheveux blanchir et son corps tout entier vieillir comme en accéléré. Pendant cette période, le malade attrape toutes sortes dinfections, car son système immunitaire devient incapable de fonctionner. Six mois plus tard, il disparaît phagocyté par toute la flore microbienne et virale, qui a dynamiquement envahi son corps prématurément vieilli. En résumé, son horloge génétique se détraque et son système immunitaire tombe en tombe en panne.
Alarmés, de gros industriels américains lancent aussitôt des programmes de recherche financés par des budgets faramineux.
Certains de ces nababs se regroupent et font construire durgence, une sorte dimmense cloche transparente ou ils installent tout ce qui est nécessaire à la vie en autarcie.
Aucune femme ne veut les suivre dans leur prison dorée. Chacun son tour !
Le mal continue à se propager. La télé, les quotidiens, les hebdomadaires, le monde des arts et des lettres, les usines, les rues, les supermarchés, les moyens de transport, se vident de la race mâle. Comme la nature a horreur du vide, ce sont les femmes qui sinstallent à sa place, ma foi, avec beaucoup de bonheur..
On entre jour après jour dans un univers de femmes. On ne voit plus de prêtres, pasteurs et autres imams, qui se croyaient autorisés à gouverner le sexe, le ventre et la vie des femmes. Dans les rues, on ne croise plus de Foulards Islamiques ni de Bonnes Surs. Les églises, les temples et autres mosquées, ferment leurs portes faute de pratiquants. Les femmes ont toujours su que la morale existe hors des religions et que lénergie créatrice les rassemble, alors que les croyances et les dogmes, finissent toujours par les séparer.Les sex-shops font faillite et les revues pornos sentassent dans les rayons spécialisés, avant de finir à la poubelle.
Il ny a plus de militaires et les casernes, vides, se transforment en centre déducation et de formation. On ne trouve pas de femmes assez débiles, même parmi les plus revanchardes, les plus agressives, les plus perverses, pour aller prendre la relève des mâles décimés par la maladie. Elles savent, elles, le prix de la vie puisquelles la fabriquent pendant neuf longs mois. On assiste à lémergence dAssemblées Laïques qui se tiennent dans des Maisons de Quartier. Chacune peut débattre, là, des problèmes de la famille, de léducation, des enfants, du respect dautrui, de lenvironnement, des prix
Les partis politiques nexistent plus, privés de leurs grands prêtres et de leurs supporters sectaires. Ce qui permet aux Maisons de Quartier et de se structurer de plus en plus et de trouver des solutions pratiques et adaptées, aux problèmes de lhabitat, de la scolarité, de la voirie, de la justice.
Les prisons se vident aux trois-quarts et le budget qui y est consacré sert désormais à la formation des petites filles et à la réinsertion, effective, des détenues. Sur toute la planète les femmes tout dabord incrédules et désarçonnées par tant de liberté et tant de pouvoir créateur désormais entre leurs mains, commencent à sorganiser pour se construire un Univers de Femmes, cest-à-dire une famille, un quartier, une ville, un pays, où elles participent activement, pleinement et intelligemment à toutes les décisions, à toutes les réalisations à quelque niveau que ce soit, et dans tous les domaines. Il ny a plus de modèle mâle à singer. Elles ne vivent plus par procuration. On fait désormais appel à la compétence et non plus au pouvoir du fric et de la magouille.
Comme une bonne nouvelle narrive jamais seule, peu de temps après, une biologiste réussit à féconder un ovule de femme avec un autre ovule féminin et obtient bien sûr, une petite fille. Plus de risque désormais, de mettre au monde un petit mâle, avec le recours, ces derniers temps, à la banque de sperme. Pendant des siècles, on avait sacrifié des bébés filles, non désirées par leur père. La nature sétait chargée dinverser le cours des choses, à lavantage des petites filles cette fois ; juste retour des choses !
La planète sest comme apaisée, peu à peu, même les routes deviennent moins meurtrières, plus vivables. Les femmes ayant voté la limitation mondiale de la vitesse à quatre- vingt km/h, tous les efforts des constructrices se concentrent désormais sur le confort et la sécurité.
Les guerres ont cessé
faute de combattants. Le colossal budget de la défense, désormais obsolète, sert à financer des crèches » quatre étoiles » et des quasi palaces pour personnes âgées. Ce budget a aussi fourni des capitaux pour construire des théâtres, des piscines, des parcs dattraction gratuits.
À quelques rares exceptions, les femmes jouissent de leur nouvelle vie sans regretter la disparition, massive, de la race mâle. La majeure partie dentre elles a jusquà oublié son existence, parquée à lintérieur des bulles de survie, qui se sont multipliées en vain.
Des savantes se sont penchées sur ce terrible mal et ont rendu public leurs observations. Apparemment, aucun microbe, virus, rétrovirus ou prions, nest la cause de cette maladie. Le fait même dappartenir à la « race » mâle, implique que lon est porteur dun patrimoine génétique, capable de programmer ce mal. Et le gène récessif, responsable de la maladie, jusque-là en sommeil, a été réactivé par un gène bien précis. Les savantes émettent lhypothèse suivante : quand un organisme met en péril la survie dun autre organisme, le premier finit par disparaître, parce quil est incapable dadaptation, seulement de domination. Si la nature laissait faire les dominants, la richesse et la variété de la vie sur terre disparaîtraient au profit dune seule et unique espèce.
Pendant que la race mâle séteint un peu partout dans le monde, les cités des femmes prospèrent. Toutes les lois sur limmigration sont abrogées. Il y a du travail pour toutes celles qui sinvestissent dans un métier. Celles qui préfèrent soccuper de leurs enfants reçoivent un salaire confortable, jusquà ce que lenfant ait atteint lâge de trois ans.
Bref, les femmes conjuguent leurs efforts pour arriver à construire une planète féminine, un univers de femme, sans frontières, sans barrières de couleurs, de nationalité ou de religion et dans le respect scrupuleux de lAutre. Chaque mère, chaque éducatrice insiste jour après jour, pour que chaque petite fille assimile et intègre à sa vie la notion suivante : « je ne suis obligée daimer autrui, mais pour survivre sur cette planète, je suis absolument obligée de le respecter. »
Des dizaines dannées sécoulent. La « race » mâle nest plus quun mauvais souvenir, qui remonte à la surface à loccasion de la consultation darchives ou de vieux albums de famille. On a construit des musées, où des conférencières racontent aux nouvelles générations de filles, la vie de leurs grand-mères. Grâce aux documents conservés, elles découvrent avec stupeur, lexistence passée des pères violeurs, des maris fouettards, des filles voilées jusquaux yeux ou mutilées dans leur sexe, de la haine religieuse de lIrlande, du Liban, des intégristes
Chacune sait que lhistoire est un éternel recommencement. Un jour, dans une Assemblée de Quartier, quelques femmes soulèvent le cas du sperme conservé dans lazote liquide depuis des lustres. Bientôt la question se pose, à léchelle de la planète. Que faut-il faire de cette semence, stockée dans la réserve mondiale, même pas gardée dailleurs !
Une majorité de femmes veut la détruire. À quoi bon conserver ce produit devenu obsolète, puisque depuis des décennies, on fabrique des petites filles par fécondation dovules.
Une Assemblée Mondiale des Femmes de la Terre, regroupant les responsables de toutes les grandes villes de la planète, se tient à Paris. Un tirage au sort en a décidé ainsi.
Pendant des jours et des jours, les porte- paroles de chaque grande ville, argumentent à tour de rôle, leur point de vue. Deux grands courants se dessinent, les pour et les contre, avec quelques indécises. Il est décidé que toutes ces interventions de lAssemblée Mondiale, seront retransmises à la télé et à la radio, à léchelle planétaire. Un référendum aura lieu six mois plus tard, scellant définitivement, le sort réservé au sperme « congelé ».
Pendant cette période dattente, des discussions passionnées se tiennent dans la rue, au bureau, au sein des familles qui regroupent souvent quatre générations de femmes. Aucune dentre elles ne manque les retransmissions des discussions télévisées. Ce soir, une jolie rousse, dune quarantaine dannées, ouvre le débat.
– Vous savez que les mêmes causes produisent les mêmes effets dit-elle. Avec le retour de la « race »‘ mâle, nous rentrerons dans une époque de glaciation avec le gel de toutes nos libertés. Liberté de pensée, de travailler, de gérer notre ventre, notre vie et nous perdrons à nouveau notre identité, pour rentrer dans le moule fabriqué par le père, le mari, la religion, la société mâle. On assistera de nouveau à la « désertification des femmes », dans les médias, dans les assemblées qui nous gouvernent, dans les postes de direction des administrations et des entreprises
On verra partout le retour des chefs. Les guerres « refleuriront » ici et là, ainsi que les viols, incestes et violences de toutes sortes. Cest ça que vous voulez ? Cest dune vie pareille dont vous rêvez ?
Une toute jeune fille lève le doigt et prend la parole.
– Je sais, mes propos ne vont pas mattirer beaucoup de sympathie, mais tant pis. Je nai pas connu lépoque où la « race » mâle régnait en maître sur la planète et je ne suis peut-être pas objective. Cependant, ne pensez-vous pas que lopposition franche, massive et radicale des femmes aux lois qui les opprimaient, aurait pu dévier le cours de lhistoire ?
Une mamie qui mordille sa branche de lunettes, intervient.
– Si je résume vos interventions, le mâle est » chromosomiquement » enclin à dominer et asservir la femme, et celle-ci est viscéralement portée vers la passivité masochiste. La solution serait donc la destruction totale du stock de sperme « congelé », afin que lhistoire ne se répète pas.
– Jai bien une solution à vous proposer, dit une petite voix fluette. La « race » mâle a réussi au cours des siècles, à façonner par différents moyens, une femme conforme à ses besoins. Il ny a quà copier lidée. Fabriquons non plus un mâle, mais un homme correspondant à nos désirs. Nous avons bien une banque de sperme archivée ? Lançons un vaste programme de recherches, afin dobtenir un spermatozoïde débarrassé des gènes qui ont causé notre perte et conséquemment la leur. Si nos savantes réussissent à créer un spermatozoïde totalement « inoffensif » pour les femmes, nous devrons quand même attendre la disparition totale des témoins et des victimes de lépoque pendant laquelle vivait la « race » mâle, avant de créer le petit « Homme Nouveau ».
– Mais pourquoi ? demande une adolescente toute menue.
– Pourquoi ! Sexclame la mamie qui était déjà intervenue. Pour que la « race » mâle ne fasse plus jamais son apparition sur la terre. Non ! Jamais plus. Il ne faut pas oublier que nous sommes aussi, le résultat de notre milieu familial et de notre éducation.
Les nombreuses interventions retransmises à la télé, font le tour de la question. Le référendum a lieu.
Cinq ans plus tard, la Planète des Femmes fête la naissance du premier petit Homme Nouveau. Neuf mois après la disparition de la dernière femme, témoin de lépoque révolue.
…Le chant répétitif et proche dune tourterelle me sort de mon lourd sommeil. Je réalise que jémerge dun long rêve touffu. Tout ce grand chambardement na probablement aucune chance de se produire un jour. Pourtant, lespace dun instant, javais cru à sa réalité : un vrai bonheur !
Exception, toujours réveillé le premier, ma préparé un thé au lait délicieux, comme lui seul en a le secret.
– Je suis dune humeur de bouledogue, lui dis-je, avant dentamer les câlins du matin
Il me regarde dun air tendre, mêlé dun soupçon de malice. Jexplique à sa place :
– Cest ça, cest sûrement les hormones !
Il évite de me demander à quoi jai rêvé, comme il le fait chaque matin
– Je vais courir dans la forêt avec la chienne, dit-il quelques instants plus tard, mettant un point final aux retrouvailles matinales.
Jen profite pour faire passer et repasser la « vidéo » de mon rêve nocturne, la tête enfouie dans loreiller dException. »
Extrait du roman : » Le Père ver » de Lyliane Lavilgrand (paru en 2000- épuisé).
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« Les savantes émettent lhypothèse suivante : quand un organisme met en péril la survie dun autre organisme, le premier finit par disparaître, parce quil est incapable dadaptation, seulement de domination. Si la nature laissait faire les dominants, la richesse et la variété de la vie sur terre disparaîtraient au profit dune seule et unique espèce. »
…A méditer !
« l’utopie est la réalité de demain » affirme Victor Hugo
C’est QUAND…Demain ? 😉