» La perception de la violence conjugale selon que l’on est une femme ou un homme.
(Claire Chamberland, Sophie Léveillé et Rosanna Baraldi)
…Ce feuillet dinformation résume quelques-uns des résultats dune recherche novatrice réalisée au Québec sur la façon dont les femmes et les hommes perçoivent la violence familiale…
Les liens potentiels entre la perception et le comportement suscitent bon nombre de questions tant complexes que fascinantes. Un des sujets qui intéressent les chercheurs est la relation entre les comportements liés à la violence conjugale et la perception de la violence, tant chez les agresseurs que les victimes.
Objectif
Lobjectif de la recherche était de mieux comprendre les façons dont les femmes et les hommes reconnaissent, définissent, tolèrent et expliquent la violence conjugale à la lumière de leurs antécédents de violence.
Participants
Trois groupes de femmes et dhommes ont participé à la recherche. Ces groupes ont été tirés dun échantillon de personnes ayant signalé avoir vécu diverses expériences de
violence conjugale. Un total de 83 hommes et de 98 femmes ont participé à létude.
Composition des groupes dhommes :
1. Des hommes qui ont récemment fait usage de violence physique et qui recevaient, au moment de létude, de la thérapie pour réduire leurs comportements violents;
2. Des hommes qui ont fait usage de violence physique par le passé, ont effectué une thérapie et qui ne sont plus violents;
3. Des hommes tirés de la population en général qui nont jamais fait usage de violence physique.
Composition des groupes de femmes :
1. Des femmes ayant récemment été victimes de violence physique qui vivaient dans un refuge pour femmes victimes de violence au moment de létude et recevaient du counselling;
2. Des femmes ayant été victimes par le passé de violence physique, qui ont déjà vécu dans un refuge et qui ne sont plus victimes de violence physique;
3. Des femmes tirées de la population en général qui nont jamais vécu dans un refuge.
Procédure
Les chercheurs ont comparé les perceptions liées à la violence conjugale à laide de questionnaires fiables et dun nouvel outil audiovisuel,Évaluation de la violence parmodalité audiovisuelle (ÉVA).
LÉVA est un instrument audiovisuel à deux volets qui permet dobserver comment des hommes et des femmes identifient et évaluent la sévérité de comportements violents. Le volet reconnaissance de lÉVA est composé de six courts films. Chaque film met en scène des acteurs qui interprètent une situation où une femme et son conjoint
vivent un conflit. Les participants à létude devaient identifier des comportements .
Quest-ce que la violence conjugale?
La violence conjugale porte plusieurs noms, y compris la violence à légard des femmes dans les relations intimes, labrutalité conjugale et la violence familiale. Il ne sagit pas dun unique comportement, mais dhabitudes comportementales adoptées par un actuel ou ancien partenaire intime pouvant être de nature physique, sexuelle et/ou psychologique.
Dans le cadre de cette étude, la violence conjugale a été définie comme soit de la violence physique, où des sévices
physiques sont commis sur une conjointe, soit de la violence psychologique. La violence psychologique a été divisée en deux
sous-groupes :
: les sévices émotionnels, où un partenaire dénigre, blâme ou cause des torts psychologiques à son conjoint;
: la domination, où un des partenaires fait usage dune influence négative sur son conjoint pour obtenir de lobéissance ou de la dépendance, ou isole le conjoint des membres de sa famille et de sa communauté.
Ce feuillet dinformation résume quelques-uns des résultats dune recherche novatrice réalisée au Québec sur la façon dont les femmes et les hommes perçoivent la violence familiale. violence physique ou à de la violence psychologique. Un score élevé à lÉVA-Reconnaissance indique une bonne reconnaissance des comportements violents. Le volet sévérité de lÉVA est composé de 36 extraits de films qui mettent en scène des comportements violents et des comportements non violents. Les participants devaient évaluer sur une échelle de 1 à 6 la gravité du comportement. Plus le score à lÉVA-Sévérité est élevé, plus la personne juge les comportements observés comme de la violence sévère On a demandé aux participants dévaluer diverses formes de comportements violents dans un contexte
conjugal. Ils ont visionné des extraits où ont été mises en scène 10 situations de violence physique et 20 situations de violence psychologique, dont 10 comportant des sévices émotionnels et 10 des formes de domination.
Comment les femmes perçoivent-elles la violence conjugale?
Les recherches antérieures ont démontré que les femmes ayant une probabilité élevée de vivre une relation intime violente, et dy demeurer, ont une attitude tolérante à légard de la violence, une faible estime de soi, des idées traditionnelles sur les rôles assignés à chacun des sexes, un engagement intense et un attachement excessif. Ces facteurs sont également associés à un risque élevé de se retrouver seul et pauvre. Les résultats de cette étude ont confirmé quelques uns de ces facteurs, notamment
: Toutes les femmes de létude ont reconnu les comportements associés à la violence physique plus facilement que ceux associés à la violence psychologique;
: La violence physique a été évaluée comme étant plus grave que les formes de domination, et la domination plus grave que la violence émotionnelle;
: Les femmes ayant récemment été victimes de violence conjugale qui vivaient dans un refuge étaient moins critiques dans leur évaluation des comportements de violence physique (c.-à.-d.,elles étaient plus tolérantes face à la violence Les concepts utilisés dans la perception de la violence.
Nous avons tendance à nous fier à des idées préconçues de la violence pour juger de la gravité dun comportement violent. Par exemple, avec une conception étroite de la violence, il serait « acceptable » de dire à un enfant que « vous souhaitez vous en débarrasser », puisquil « ne sagit que de mots ». Les personnes ayant une conception étroite de la violence peuvent être incapables de reconnaître que ce genre daffirmation consiste en de la violence psychologique ou peuvent être réticentes à lavouer.
Lattitude dune personne à légard de la violence est liée à son niveau de tolérance des comportements violents. Quelquun ayant une attitude tolérante envers la violence peut, par exemple, considérer « quune bonne tape sur les fesses ne peut pas faire du tort ».
On entend par attribution dune intention, les façons dont une personne sexplique les causes de son comportement, les comportements des autres ou des facteurs externes. Dans les situations de violence conjugale, lagresseur a souvent tendance à blâmer quelquun dautre. Par exemple, un agresseur peut croire que sa femme « la délibérément rendu à bout » ou quun enfant « a mérité de se faire secouer ». Il attribue donc lintention aux victimes, ce qui lui permet de justifier son comportement et de les blâmer pour la violence exercée.
-que les femmes nétant plus victimes de violence et les femmes ayant récemment été victimes de violence conjugale qui vivaient dans un refuge avaient généralement tendance à évaluer moins sévèrement la violence émotionnelle que les femmes qui nétaient plus victimes de violence.
Un phénomène inquiétant a été observé chez les femmes qui avaient vécu dans un refuge et qui étaient toujours victimes de violence conjugale. Quelques-unes ne semblaient pas être conscientes de
limpact négatif de la violence conjugale sur leur vie. Même si, en principe, elles reconnaissaient les risques associés au fait de retourner vivre avec leur conjoint violent, en pratique, elles nentrevoyaient pas ces risques comme étant applicables à elles-mêmes.
Comment les hommes perçoivent-ils la violence conjugale?
Des recherches antérieures ont démontré que la thérapie cognitive peut être très efficace dans la réduction des comportements violents chez les hommes. Habituellement, les hommes violents minimisent la gravité dun comportement violent en le tolérant, en le justifiant, en y trouvant des prétextes ou en blâmant leur conjoint.
Les approches thérapeutiques les plus efficaces permettent aux hommes de :
: reconnaître les diverses formes physiques et psychologiques de la violence; reconnaître leurs propres comportements violents;
: reconnaître que la violence est une violation de pouvoir et un instrument de contrôle; diminuer leurs comportements violents;
: prendre la responsabilité de leurs comportements violents; apprendre des solutions de rechange à la violence, telles que lamélioration des habiletés de communication;
: apprendre à respecter leurs conjointes;
: acquérir une gamme complète dhabiletés sociales.
Les recherches antérieures ont également démontré que les hommes violents qui participent à une thérapie cognitive ont moins tendance à récidiver que les hommes violents nayant pas reçu de traitement. Les résultats de la présente recherche appuient globalement cette conclusion.
Dans la présente étude, un échantillon dhommes ayant été violents par le passé a reçu de la thérapie cognitive dans le cadre de leur rééducation. Ce groupe a été comparé à un groupe dhommes de la population en général qui na jamais été violent et à un groupe dhommes ayant récemment agressé leurs conjointes.
Lanalyse des perceptions de ces trois groupes dhommes a révélé ce qui suit
: Règle générale, les hommes ont reconnu les comportements associés à la violence physique plus facilement que ceux associés à la violence psychologique;
: Les hommes ont évalué plus sévèrement la violence physique que les formes de domination, et ils ont évalué la domination plus sévèrement que les formes de violence émotionnelle;
: Les hommes ne faisant plus usage de violence qui ont effectué de la thérapie pour de la violence conjugale ont mieux réussi à identifier les comportements violents que les agresseurs qui commençaient à suivre une thérapie et que les hommes de la population en général;
: Les hommes ne faisant plus usage de violence qui ont effectué de la thérapie ont davantage reconnu un phénomène négligé mais dangereux : la violence psychologique.
Pour plusieurs, la violence conjugale est synonyme de violence physique. En réalité, la violence physique est habituellement précédée dune forme très destructrice de violence psychologique visant à humilier, à dénigrer, à blâmer et à faire de la peine à une personne. La violence psychologique comprend également les comportements dominateurs où lagresseur tente de contrôler son conjoint ou de lisoler de sa famille et de ses amis.
Plusieurs chercheurs avancent que limpact de la violence psychologique peut être plus grave que la violence physique. Pour les hommes, cette forme de violence détruit, blesse, décourage, provoque le doute de soi et peut même mener au suicide. Pour les femmes, leur identité profonde en est ébranlée, de même que leur estime de soi.
Comparativement à la violence physique, les chercheurs sentendent moins sur ce qui constitue de la violence psychologique. De manière générale, tant les femmes que les hommes ont signalé vivre et infliger plus de violence psychologique que physique.
la violence psychologique que les autres groupes dhommes, de même que lensemble des femmes;
: Les hommes ne faisant plus usage de violence qui ont effectué de la thérapie ont évalué plus sévèrement toutes les formes de comportement violent mises en scène dans la vidéo, comparativement aux autres groupes dhommes; Les hommes ne faisant plus usage de violence qui ont effectué de la thérapie ont identifié plus facilement la violence psychologique que les agresseurs qui commençaient une thérapie et que les hommes tirés de la population en général; Dans léchantillon dhommes violents qui commençaient une thérapie, le plus les hommes étaient physiquement violents, le moins ils étaient en mesure didentifier les comportements violents, et ils les évaluaient comme étant moins graves.
La violence physique plus facilement identifiée que la violence psychologique chez les deux sexes
Dautres résultats de létude démontrent que les deux sexes partagent des perceptions similaires quant à la violence physique.
:La violence physique a été la forme de violence la plus identifiée par les hommes et les femmes; Autant les hommes que les femmes ont considéré la violence physique comme étant plus grave que la violence psychologique. Les deux sexes diffèrent toutefois dans leur évaluation de la violence psychologique, les femmes layant considérée plus grave que les hommes.
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Au sujet des auteures : Claire Chamberland est professeure à lÉcole de service social de lUniversité de Montréal et codirectrice du Centre dexcellence pour la protection et le bien-être des enfants. Sophie Léveille est coordonnatrice scientifique au Centre dexcellence pour la protection et le bien-être des enfants. Rosanna Baraldi est rattachée à la Direction Santé Québec, Institut de la statistique du Québec.
Le Centre dexcellence pour la protection et le bien-être des enfants (CEPB) est lun des Centres dexcellence pour le bien-être des enfants financés par lAgence de santé publique du Canada. Les opinions exprimées dans le présent document ne sont pas nécessairement conformes à la politique officielle des organismes qui financent le CEPB. »
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« Lobjectif de la recherche était de mieux comprendre les façons dont les femmes et les hommes reconnaissent, définissent, tolèrent et expliquent la violence conjugale à la lumière de leurs antécédents de violence. »
