" Le Dieu des petits riens" Arundhati Roy (Gallimard).

Arundhati Roy

Article génial de Tirthankar Chanda, à découvrir ABSOLUMENT : « une INCROYABLE nana » !

[ Arrivée sur le devant de la scène grâce au succès populaire inattendu de son premier roman Le Dieu des petits riens (Gallimard,1998) Arundhati Roy est devenue en l’espace d’une dizaine d’années une figure majeure de la modernité indienne. Mais c’est une figure atypique au parcours original. En effet, contrairement aux autres grands auteurs contemporains de l’Inde, ce n’est pas en tant que romancière que Roy s’est imposée, mais en tant qu’écrivain-militante dans la grande tradition des Zola, des Sartre, des Orwell, prenant parti à travers ses écrits sur des questions au coeur des turbulences sociales contemporaines. Après avoir été un temps l’icône de la classe moyenne indienne, surtout à cause de ses succès en Occident, elle est devenue aux yeux de cette même classe moyenne une intellectuelle iconoclaste qui n’a eu cesse d’interroger les mythes du progrès, des bienfaits de la technologie, de la démocratie sur lesquels l’Inde moderne a été bâtie, allant jusqu’à critiquer Gandhi, Nehru et les autres. « Il est important d’être
un hooligan, un citoyen qui dérange, aime-t-elle dire. Il faut se servir de sa liberté, sinon on vous la reprendra. »
De l’icône à l’intellectuelle iconoclaste Les prémices de la transformation de cette enfant gâtée de la classe moyenne en l’enfant terrible étaient déjà lisibles dans Le Dieu des petits riens. Récit politique par excellence, ce roman d’amour tragique sur fond d’une lutte à mort des classes et des castes est une dénonciation en règle de la société indienne contemporaine née de la colonisation et d’un féodalisme millénaire et patriarcal qui perdure sous des formes nouvelles. Celles-ci ont pour noms : le Congrès, le christianisme et bien sûr le communisme dont le Kérala où se
déroule le roman est le bastion en Inde. « En fait, le communisme s’était introduit masqué au Kérala, affectant les allures d’un mouvement réformateur qui prenait soin de ne jamais remettre en question les valeurs traditionnelles d’une communauté très conservatrice, fondée sur le système des castes, écrit Roy. Les marxistes oeuvraient à l’intérieur des barrières sociales, ne contestant jamais leur existence tout en donnant l’impression qu’ils le faisaient. Ils proposaient une sorte de cocktail révolutionnaire, un mélange entêtant de marxisme à l’orientale et d’hindouisme orthodoxe, corsé d’une pointe de démocratie. »
Elevée dans le Kérala rural des années soixante, par une mère divorcée, Arundhati Roy a eu une expérience de première main de l’oppression sociale, du désespoir des individus pris au piège de l’hypocrisie des puissants et des vertueux qui tirent les ficelles du fond de leurs bungalows victoriens et s’arrangent pour que les pauvres et les marginaux restent à leur place, c’est-à-dire dans leurs ghettos. Le Dieu des petits riens est un
récit autobiographique qui puise ses matériaux dans les bonheurs et les terreurs de l’enfance de l’auteur, dans l’expérience douloureuse de bannissement et de rejet qu’a vécue la mère de Roy à la suite de son divorce, dans les hypocrisies de la minorité chrétienne dont elle est issue. En même temps, c’est un roman universel car la conteuse
hors pair qu’est Roy a su rattacher ces matériaux aux questions fondamentales de la « peur de la civilisation face à la nature, des hommes face aux femmes, du pouvoir face à la nature. » Du roman aux essais
Ce sont précisément ces questions aux implications profondément politiques que Roy va développer dans les nombreux articles et les essais qu’elle a écrits depuis 1998, abandonnant l’écriture fictionnelle
au grand désespoir des admirateurs du Dieu des petits riens. « Ce n’est pas parce qu’on a écrit un roman qu’on doit continuer à le faire toute sa vie », explique-t-elle à ceux qui s’étonnent de sa démarche. La raison véritable de cet abandon qui n’en est pas un comme on le verra, réside peutêtre dans la rupture que représentent pour l’Inde les années
quatrevingt dix. Ce sont d’une part les années de l’émergence de l’hindouisme radical en tant que force politique viable. Ce phénomène fait peser une menace réelle sur les valeurs de la laïcité et du multiculturalisme chères aux pères fondateurs de l’Inde moderne.
D’autre part, ces années marquent la fin du socialisme à la Nehru et l’entrée de l’Inde dans la danse destructrice de la mondialisation à la faveur de la libéralisation de l’économie lancée en 1991. Ces bouleversements de paradigmes sociaux et économiques son à l’origine de nouvelles injustices auxquelles des intellectuels tant soit peu attachés aux valeurs de la justice et du bien-être social ne pouvaient rester insensibles. Ils sont nombreux à mettre leur
plume au service des causes sociales et politiques car, comme Roy l’a écrit, « être écrivain dans un pays (comme l’Inde) dont les citoyens sont confrontés, au nom du « développement », à quelque chose qui ressemble fort à une guerre civile qui ne se dit pas telle est une lourde responsabilité. » La cause qui va inspirer à Roy un de ses premiers essais militants est celle des déplacés de la vallée de la Narmada, dans l’ouest de l’Inde. Le gouvernement indien y a lancé un programme hydraulique ambitieux consistant à construire 3200 barrages sur le fleuve Narmada et
ses affluents. Depuis son indépendance en 1947, l’Inde est devenue la championne en matière des constructions de barrages qui ont mis à mal l’écosystème du souscontinent et occasionné le déplacement de plus de 50 millions de personnes, essentiellement des tribaux et des populations appartenant aux castes inférieures.
Sollicitée par les écologistes pour apporter son soutien à leur lutte contre l’érection du barrage sur la Narmada, Roy s’est rendue sur le terrain et en est revenue « épouvantée » par le désastre écologique et humain en préparation. Elle tirera la sonnette d’alarme dans une enquête passionnée et richement documentée, intitulée « Le coût de la vie
» qu’elle publie dans la presse indienne. Elle y attire l’attention de ses lecteurs sur les conséquences catastrophiques de ce projet pharaonique : plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées, 4000 kilomètres carrés de forêts naturelles submergées…
« Le combat pour la vallée de la Narmada n’est pas simplement, écrit-elle, une guerre tribale au parfum exotique, une lointaine guerre rurale ou même une guerre exclusivement indienne. C’est un combat pour les fleuves, les montagnes et les forêts du monde entier. »
Ce reportage aux accents quasitolstoïens sur la bataille de la Narmada fait partie d’une série d’articles qu’a écrits Roy entre 1998 et 2007, dénonçant pêlemêle les essais nucléaires indiens (« La fin de l’imagination »), la dialisation (« Une forme génétiquement modifiée du féodalisme ») la montée du fascisme religieux en Inde (« Démocratie »), mais aussi l’invasion américaine de l’Afghanistan après le 11 septembre 2001 (« Ben Laden, le secret de famille de l’Amérique »), la guerre en Iraq (« Voici venu septembre »). Les uns plus virulents que les autres, mais toujours argumentés, ciblant avec éloquence le pouvoir dominant quel qu’il soit. « En dépit des apparences, affirme Roy, mes
écrits ne portent pas vraiment sur les nations et leur histoire, mais sur pouvoir. Sur la paranoïa du pouvoir et son inflexibilité. Sur sa mécanique. Je suis convaincue que, toute considération idéologique
mise à part, l’appropriation d’un pouvoir sans limites par un Etat, un pays, une société ou une institution, voire un individu – conjoint, frère ou ami – débouche immanquablement sur des excès. »
Une excellente nouvelle Or si ses diatribes contre Bush, contre la mondialisation ont fait de Roy le chouchou des mouvements gauchistes européens, la réaction est plus ambiguë en Inde, voire même franchement hostile. Ses prises de position contre la bombe nucléaire, contre les barrages, contre le dogme du développement se sont fracassées contre
le consensus national autour de ces questions. Ses moindres articles dans la presse attirent des courriers de lecteurs abondants, ponctués d’invectives et de menaces. On la taxe d’« anti-nationale »
et la Cour suprême indienne l’a même condamnée à un jour de prison symbolique pour outrage à magistrat. Même sa décision de porter les cheveux très courts suscite débat dans ce pays profondément patriarcal où les cheveux longs demeurent l’apanage de l’idéal féminin.
« La réussite a dévasté ma vie et a changé toutes les équations », a-telle confié récemment à une journaliste, annonçant par la même occasion sa décision de se retirer de la vie publique pour écrire un nouveau roman.
C’est évidemment une excellente nouvelle pour tous les amoureux de la littérature. ]
Tirthankar Chanda
Source; Nouvelles de l’Inde n° 391 (Ambassade de l’Inde)

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Lire Arundhati Roy en français : » Le Dieu des petits riens » , traduit de l’anglais par Claude Demanuelli.(Folio n° 3315)
« L’écrivain-militant ». Traduit de l’anglais par Claude Demanuelli et Frédéric Maurin (Folio document n°14)
Source Nouvelles de l’Inde n° 391 (Ambassade de l’Inde)

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… » écrivain-militante dans la grande tradition des Zola, des Sartre, des Orwell, prenant parti à travers ses écrits sur des questions au coeur des turbulences sociales contemporaines  » …

« Elevée dans le Kérala rural des années soixante, par une mère divorcée, Arundhati Roy a eu une expérience de première main de l’oppression sociale »…

Aurait-elle eu le même « regard » sur le monde si elle avait été élevée avec un père présent ? (en Inde).

JE pense que personne n’aurait jamais entendu parler d’elle…

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Auteur : Tingy

Romancière féministe : je viens de publier " Le temps de cuire une sauterelle " :-)) Et de rééditer : "Le Père-Ver" et "Le Village des Vagins" (Le tout sur Amazon) ... et peintre de nombreux tableaux "psycho-symboliques"... Ah! J'oubliais : un amoureux incroyable, depuis 46 ans et maman de 7 "petits" géniaux...

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