» Chère Hannah,
Pourquoi l’amour est-il d’une richesse sans commune mesure avec d’autres possibilités accordées à l’être humain, et un suave fardeau à ceux qu’il atteint, sinon parce que nous nous métamorphosons en ce que nous aimons tout en demeurant nous-mêmes ? Envers ce que nous aimons, nous éprouvons alors de la gratitude, et ne trouvons rien qui y satisfasse.
Remercier, cela ne se peut qu’en se faisant soi-même remerciement. Il appartient à l’amour de métamorphoser la gratitude en loyauté envers soi-même comme en foi inconditionnelle en l’autre. Ainsi l’amour ne cesse-t-il d’amplifier notre propre secret.
La proximité consiste, en l’occurrence, à être dans l’extrême distance par rapport à l’autre, distance qui ne laisse rien devenir flou, mais au contraire permet à un « toi » de se situer au sein de ce qu’a de diaphane mais aussi d’inconcevable, en une telle manifestation, le fait tout bonnement qu’elle ait eu lieu. Que la présence de l’autre fasse soudain irruption en notre vie, il n’est pas en notre pouvoir ni en nos ressources d’en endiguer le flux. Une destinée humaine s’offre à une humaine destinée, et se mettre au service du pur amour, c’est alors garder ce don de soi aussi vivace qu’au premier jour.
Une histoire d’amour commence dont chacun sait qu’elle n’est pas permise et qu’elle est pourtant inévitable. Les amants doivent cacher leurs sentiments aux autres. Heidegger les dissimule à ses collègues et à ses rares amis, notamment à Jaspers. Sa femme surtout ne doit rien savoir de cette relation – n’est-il pas le père de deux enfants ? Elfride souffrait de ses rapports directs avec les jeunes femmes. Elle devait déjà supporter que son mari entretînt une correspondance avec son amie, Elisabeth Blochmann, une jeune femme intelligente qui ne possédait cependant pas le rayonnement extraordinaire de cette Hannah. Celle-ci le renversait littéralement. Elle lui faisait perdre toute son assurance. Il était ému, ébranlé. Sa passion l’élevait vers des sommets insoupçonnés d’émotion. De son côté, Hannah n’avait qu’à se protéger de son cercle d’amis et de ses camarades d’études. Elle pouvait en dehors de ces quelques précautions se livrer entièrement à l’amour. »
Extrait d' »Hannah Arendt et Martin Heidegger. Histoire d’un amour ».
Auteur: Antonia Grunenberg-Ed.Payot
Source L’Express.fr
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» Une histoire d’amour commence dont chacun sait qu’elle n’est pas permise et qu’elle est pourtant inévitable« .
Cette sorte d’histoire est toujours extraordinairement jouissive…A en perdre la raison !
Et son souvenir suffit à illuminer toute une vie…
Quelques un(e)s l’ont rencontrée 😉