…" DES connards et DES pétasses " ? Trèèès drôôôle…

[ Ce matin sur le chemin du boulot Stéphanie a entendu chez Bourdin que c’était la journée de la femme.

Suite au licenciement du chef produit et au congés pour dépression nerveuse de sa collègue, l’assistante commerciale de l’entreprise d’emballage dans la banlieue de Caen cumule désormais trois postes, devenant l’interlocutrice directe des centrales de grandes distributions dont les robots connectés aux stocks en temps réel la bombardent toutes les demi-heures de faxes de commandes auxquels elle n’entrave rien.

Stéphanie
– « Tu te rends compte. Je suis payée 1200 euros et je fais une somme de travail correspondant à 4200 euros de salaires ! »

Seule à la machine à café à la pause de onze heures, Stéphanie est en pleurs sur son Heil-phone dernier cri.

Stéphanie
– « Demain j’ai rendez-vous avec le patron. Les pieds sur le bureau, il va encore me retourner le cerveau. Il est trop fort. Je vais sortir de là avec zéro augmentation, un sourire et deux missions à faire en plus. J’en peux plus. »

Connaît-elle seulement la définition des mots « lutte » et « classes » et la signification historique de l’association des deux ? Pas dit. A t-elle juste quelqu’un au bout du fil ? Nous ne pouvons l’affirmer.

Tout en messe basse, de peur qu’un des collègues de l’étage (enfin ceux qui restent, un tiers ayant déjà été viré) ne l’entende et ne la dénonce, elle se confesse sans dépasser le forfait sur son malheur à taire.

Elle voudrait arrêter de travailler et se débarrasser de cette pression. Mais que dirait Christophe, lui qui lui reproche déjà de pas être assez féminine, de ne pas accepter tous ses fantasmes sexuels et de moins bien cuisiner que sa mère ?

Au boulot, Stéphanie est pourtant en position de force. Les commandes passent par elle, elle connaît bien mieux que son patron l’ensemble des procédures et pourrait l’envoyer aux prud’hommes.

Mais non, ce serait salaud. Et puis, elle raterait l’augmentation (il parait qu’on a vu certains salariés en avoir). Pire, elle risquerait la porte. En ces temps de chômage à 10%, ça craint de se retrouver sans rien. Elle a vu des pauvres hier soir sur M6, ils lui ressemblaient vachement même que ça lui a fait peur.

Et puis, cela a été tranché en cellule conjugale. Les rares fois où il n’est pas en train de péter son score sur la console de jeu, son Cri-Cri le lui répète :

Cri-cri d’amour
-« Moi je me casse à travailler le dimanche pour te payer ta Wii, alors fais des efforts s’il te plait ! Et puis, comment qu’on va faire pour finir de la payer la maison si t’es au chômage. T’y as pensé ? Non tu penses qu’à toi. Tu veux que je te dise t’es égoïste ! »

Du temps où elle travaillait comme standardiste dans un grand groupe média à Paris, son premier job, Stéphanie vivait et respirait au diapason de l’enseigne dont elle ne manquait pas une occasion de rappeler le nom. Elle n’y était que vague opératrice de saisie mais bon, le nom de la boite et la salle de musculation au cinquième niveau, ça claquait dans la conversation. C’est même comme ça qu’elle a séduit son mari.

Aujourd’hui, ils ont la belle maison mais il fallu partir loin de toute civilisation pour cela et puis faut la rembourser. Le juge d’application des crédits est formel : 22 ans incompressibles. Stéphanie a prit le premier « job » qu’elle pouvait dans la région et s’y est accrochée parce que parait que c’est bien pour la liberté des femmes d’être exploitées. C’est sa belle-mère qui n’a jamais bossé qui le lui a dit.

« Paris, c’était le zénith de ma vie » avoue t-elle à l’Heil-phone en ramenant Mathéo de la crèche après le boulot au fil des 32 kilomètres de route de lacets dans le brouillard la séparant du pavillon.

En accord avec sa feuille d’impôt, Christophe a décidé des horaires :

Cri-cri d’amour

– « Tu déposes Matéo à 8h01, tu vas le chercher à 17h59. Avec tout ce que ça nous coûte, on va pas leur faire cadeau d’une minute à ces feignants de la crèche. »

Début de soirée. Isolée au milieu des champs brumeux, dans son salon froid décoré à la perfection sur fond de « Roue de la fortune », le cul posé sur la table basse laquée à deux mois de salaire, tout en lappant son yaourt Lideule, Stéphanie regarde la larme à l’oeil les cadres art-déco de son fastueux mariage avec Cri-Cri en relais château. C’était il y a quatre ans, une époque où l’on pouvait frimer, une éternité. Désormais Christophe lui envoie ses ordres par SMS :

– « Pas de deuxième enfant, ça coûte trop cher ! Et éteint le plasma quand tu le regardes pas, ça consomme trop d’électricité ! »

Du coup quand la télé est allumée, elle se force à la regarder.

Sur l’écran le fric tombe tout seul au milieu des applaudissements des gens heureux. A cause de Super Nanny, Stéphanie culpabilise de mal élever son Mathéo, « – d’ailleurs où est-il ? sur la wii probablement avec son père, je suis trop crevé pour leur faire la leçon et puis faut que je fasse à bouffer ». La publicité pour une belle voiture fabriquée à deux continents d’ici qui rappelle à la trieuse de déchets que « la prime à la casse » faut en profiter cette année.

Accablée par son homme qui la traite comme un complément de revenu, usée jusqu’à la corde par sa direction qui la laisse patauger dans sa servile médiocrité à prix cassé, elle se réconforte en songeant aux 10 DVD qu’elle ne regardera jamais mais qu’elle n’a acheté que 30 euros sur Cprixcassé.

– « Ouf, mes points à dépenser étaient presque arrivés à la date limite. »

Stéphanie ce n’est pas le malheur, c’est le désarroi de l’opulence à crédit et la terreur permanente de perdre ce standing et les objets de sa dépendance.
Son drame à elle, c’est d’avoir épousé le mâle et sa vision, d’avoir décroché trop jeune la totalité les « libertés » addictives proposées par le marché (consommation frénétique avec son aboutissement logique : l’enfant gadget, l’acquisition surfacturée de la propriété et le job peu passionnant, stressant et mal payé) et, la trentaine venant, de devoir endurer ce sentiment inavouable qu’au fond cela ne remplit rien, que c’est une peine de prison dorée dont il reste tant d’années à purger.

Il parait que l’homme s’habitue à tout, la femme le peut bien.

Il faudra qu’elle en parle par Heil-Phone à son amie imaginaire demain sur le chemin du turbin. ]

Source « Marianne » : les blogueurs associés

( Retrouvez tous les articles de Seb Musset sur son blog)

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Extraits de commentaires:

 » Com Posté par loïc le 09/03/2010 08:02

Accrochez-vous les filles et virez les machos, un bon divorce vaut mieux qu’un mauvais mariage. »

Evidence !

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 » com Posté par caro21 le 09/03/2010 06:20

Caricature bien ficelée, mais caricature quand même j’espère.Tous les hommes ne sont pas des connards et les femmes des pétasses, heureusement.  »

Espérons, espérons !

« L’espoir fait vivre les imbéciles » , dit-on aussi!

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Auteur : Tingy

Romancière féministe : je viens de publier " Le temps de cuire une sauterelle " :-)) Et de rééditer : "Le Père-Ver" et "Le Village des Vagins" (Le tout sur Amazon) ... et peintre de nombreux tableaux "psycho-symboliques"... Ah! J'oubliais : un amoureux incroyable, depuis 46 ans et maman de 7 "petits" géniaux...

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