« Jétais là, dans la salle
Jétais là, dans la salle, quand son vagin sest ouvert.
Nous étions tous là, sa mère, son mari et moi,
Et la sage femme à laccent russe, avec toute sa main
Plongée dans son vagin, palpant et tournant avec son gant
En caoutchouc tout en bavardant avec nous
Comme si elle essayait de débloquer un robinet.
Jétais là, dans la salle, quand les contractions
Lont fait se tordre,
Et pousser par tous ses pores des gémissements inconnus
Jétais là encore, après des heures, quand elle a poussé soudain un cri sauvage,
Battant avec ses bras lair électrique.
Jétait là quand son vagin sest transformé,
Dhumble orifice sexuel
En passage plus vieux que la nuit des temps, en un vaisseau sacré,
En un canal vénitien, en une source profonde avec un tout petit enfant blotti en son milieu
Et qui attendait quon le délivre.
Jai vu les couleurs de son vagin. Elles étaient changées.
Jai vu le bleu des hématomes,
Le rouge vif des boursouflures,
Les gris-rose – les ombres.
Jai vu le sang perler sur le bord comme une sueur,
Jai vu le jaune, les humeurs blanches, la merde, les caillots
Jaillir de partout, pendant quelle poussait plus fort, encore plus fort.
Jai vu dans ce trou béant, la tête du bébé,
Rayée de cheveux noirs, je lai vue, là, juste derrière los,
Souvenir dur et rond,
Pendant que la sage-femme à laccent russe tournait et retournait
Sa main gluante.
Jétais là quand sa mère et moi
Lui avons tenu chacune une jambe et résisté
De toutes nos forces à ses énormes poussées
Et son mari qui comptait inexorablement « Un, deux, trois »,
Lui disant de se concentrer
« Mieux que ça ! »
Nous regardions en elle.
Ne pouvant détacher nos regards de ce point, là.
Tous, autant que nous sommes, nous avons oublié le vagin.
Comment expliquer autrement
Ce manque dadmiration, ce manque de vénération pour lui.
Jétais là quand le docteur
Est entré avec ses étranges cuillers,
Là encore, quand son vagin sest transformé en une grande bouche de soprano
Chantant de toutes ses forces.
La petite tête dabord, puis le petit bras blême élastique, et puis le corps nageant vite
Vite vers nos bras ruisselants.
Jétais là quand plus tard, métant retournée, je me suis retrouvée en face de son vagin.
Et moi debout, je lai vue
Elle allongée sur le dos, complètement brisée,
Meurtrie, tuméfiée, déchirée,
Saignant sur les mains du docteur
Qui tranquillement la recousait.
Jétais là, debout, et son vagin, soudain,
Mest apparu comme un grand cur rouge qui battait.
Le cur est capable de sacrifice.
Le vagin aussi.
Le cur est capable de pardonner et de réparer.
Il peut changer sa forme pour nous laisser entrer.
Se dilater pour nous laisser sortir.
Le vagin aussi.
Il peut souffrir pour nous, souvrir pour nous, mourir pour nous
Et saigner pour nous dans ce monde difficile et merveilleux.
Le vagin aussi.
Jétais là, dans la salle.
Je me souviens « .
Les Monologues du Vagin Eve Ensler extrait-