[ Les jumeaux maudits de Mananjary .
MANANJARY (MADAGASCAR):
Dina et Diari, 5 mois, entrelacent leurs doigts délicats. Allongés sur le dos, côte à côte, au centre d’un vieux lit à barreaux à la peinture écaillée, ces deux frères jumeaux fixent les visiteurs de leurs grands yeux noirs et brillants. Ils ont été recueillis par le Centre d’accueil et de transit des jumeaux abandonnés (Catja), à Mananjary, ville froide et humide de la côte sud-est de Madagascar, à 450 kilomètres de la capitale, Antananarivo. Il y a un siècle, leur crâne aurait été fracassé sous les sabots des zébus. Aujourd’hui encore, Dina et Diari sont jumeaux, donc maudits.
Ainsi le veut l’implacable coutume des Antambahoaka. Cette ethnie, l’une des dix-huit de Madagascar, compterait 22 000 âmes – chiffre approximatif, car aucune statistique ethnique n’est autorisée – sur 18 millions d’habitants. « On fait ainsi parce que nos parents l’ont toujours fait, et nous devons nous y soumettre », admet une habitante de Mananjary.
Connus pour le « fady kambana », ou « tabou des jumeaux », les membres de l’ethnie Antambahoaka sont tenus à l’écart par les autres castes. « Il ne faut pas leur parler de cette histoire, assure Georges-Antoine Rajaonarivelo, 67 ans, un ancien habitant de Mananjary, membre d’une autre ethnie. La malédiction frappe uniquement leurs jumeaux. Ceux d’une autre ethnie, élevés à Mananjary, ne seront pas condamnés à y vivre en parias. »
Les origines de la malédiction se perdent dans la nuit des temps. A son arrivée à l’embouchure du fleuve Sakaleona, au nord de Mananjary, le premier Antambahoaka aurait choisi son épouse parmi les femmes de la région. Enceinte de jumeaux, elle décéda en couches. Le malheur frappa sa deuxième, puis sa troisième épouse. Le chef du clan jura alors que sa descendance n’élèverait jamais de jumeaux.
Au XIXe siècle, un astrologue persuada Ranavalona Ire (1828-1861), l’autoritaire reine de la Grande Ile, que les enfants nés sous le signe des gémeaux, signe puissant mais violent, étaient voués à une destinée exceptionnelle. Craignant sa déchéance, la souveraine imposa aux parents de les tuer ou de les déposer à la porte d’une étable. S’ils échappaient au piétinement des zébus, les nouveau-nés pouvaient vivre. Enfin, une légende, plus proche des soucis alimentaires quotidiens, raconte la difficulté d’un chef de clan à nourrir ses jumeaux lors d’une disette.
Aucune pluie diluvienne, aucun raz-de-marée de l’océan Indien, n’a jamais lavé les terres de Mananjary de la malédiction. Une mère se souvient de l’immense tristesse dans sa famille au moment du départ des jumeaux pour une adoption internationale : « Comme si nous vivions un funèbre départ mortuaire. » Devant son désarroi, son mari fit sur- le- champ le serment de passer outre le tabou pour sa descendance.
Aujourd’hui, cette femme ne sait pas où vivent ses enfants. Elle admet que « la tristesse et la nostalgie provoquent des perturbations en elle ». Une voisine se souvient de son accouchement : « Elle s’appliquait à tourner la tête en fermant les yeux pour ne surtout pas garder un seul souvenir des enfants emportés. » D’autres femmes acceptent la malédiction et privilégient le respect des coutumes : « On ne doit pas se séparer des autres. »
A Mananjary, dans le quartier Andovosira, le « palais » du mpanjaka, le chef de clan, ne paie pas de mine. Derrière un garage automobile, rien ne distingue cette case d’une autre, hormis les quatre oiseaux en métal fixés dos à dos sur le toit. Derrière cette façade sur pilotis, les coutumes préservées par le chef traditionnel ont plus de poids que n’importe quelle directive internationale. Accompagné de son épouse, un homme âgé à la peau tannée, en short et bras de chemise, sort, s’avance pour vous serrer la main, puis disparaît par la porte de son « palais ». Impossible de lui arracher un mot sur les jumeaux. Une spécialiste reconnaît : « Ces chefs sont de petits dieux. »
L’index pointé vers le ciel, un vieil habitant de Mananjary assure qu' »il n’y a que les chiens pour avoir des portées multiples. Et ici, sur la côte, être traité de chien, c’est la pire des insultes ! » La coutume insinue aussi qu’un homme engendre un enfant à la fois. Si deux naissent en même temps, l’épouse lui aura été infidèle.
A l’école de service social d’Antananarivo, Gracy Fernandes, professeur de sciences sociales et auteur d’un rapport sur l’abandon des jumeaux à Mananjary, explique la mécanique et les méandres des coutumes. « Il ne faut pas chercher une logique basée sur la rationalité, analyse-t-elle, mais sur l’expérience, vraie ou supposée, de la malédiction. » Du bout des doigts, la sociologue déroule une carte de Mananjary. Elle localise, quartier par quartier, les dix tranobe, les « palais » où vivent les raiamandreny, les chefs coutumiers, et les mpanjaka, les chefs de clan.
Pour que les chefs Antambahoaka n’aient jamais à croiser les petits damnés, un orphelinat a été bâti au-delà des eaux saumâtres du canal des Pangalanes. C’était en 1987. Auguste Simintramana, un chrétien étranger à ce territoire, prit l’initiative de fonder le Catja, l’un des deux orphelinats de la ville. On lui attribua un curieux terrain couvert de plantes grasses. Un sage de Mananjary, du haut de son 4×4, se souvient de l’odeur pestilentielle que cette « forêt » de népenthes exhalait à l’époque. Au fond de leur urne, ces plantes carnivores digéraient lentement les cadavres d’insectes et d’oisillons.
Aujourd’hui, une distance demeure entre les pensionnaires et la ville. Loin des bâtisses coloniales aux façades vermoulues, trois bâtiments propres, construits de plain-pied, abritent les quatre-vingt-cinq résidents, dont vingt jumeaux. La pouponnière du Catja est une pièce simple et chaleureuse. Au centre, quatre jumeaux de 10 mois, garçons et filles, tournicotent sur une mélodie égrenée par une berceuse électrique. Quelques peluches élimées sont posées aux coins des lits. La directrice, Julie Rasoarimanana – la veuve d’Auguste Simintramana -, ne s’inquiète pas pour l’avenir de Dina et Diari : « Ils seront rapidement adoptés, mais pas dans une famille Antambahoaka. »
Linda Caille ]
LE MONDE | 05.09.08 | 14h25 Mis à jour le 05.09.08 | 17h17 ]
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Partout dans le monde les croyances et les religions ont des effets pervers sur la vie d’êtres humains!!!
Entre autres, les femmes doivent aux religions d’être des citoyennes de seconde zone et les homosexuels d’être traités en pestiférés!!!Etc…
Par contre, les mecs leur doivent la naissance du machisme, de la phallocratie et de la misogynie, c’est à dire de la « Voie Royale » ! Youpiiiii!